jeudi 3 février 2011

Une trop longue attente

Je te regardais fixement en me demandant à quoi tu pouvais bien penser. Tu étais à deux pas à peine, silencieux, et fumais nerveusement. A l’écart. Je ne savais pas quelle attitude adopter. On ne se connaît pas même si nous avons des connaissances en commun. Nous nous sommes serré la main par politesse une fois ou deux, avons échangé quelques phrases noyées dans les banalités d’usage. Mais, en pareille circonstance, les mots ne pèsent rien. Tes parents ne sont pas loin non plus. La peur se lit sur vos visages, une immense lassitude aussi. De la fatigue.
Ce que l’on vous inflige à distance est insoutenable. Vos jours ne sont pas en danger mais vos nuits le sont toutes. Que de tourments injustifiés, que de cauchemars renouvelés, que d’attentes vaines, que d’espoirs déçus, que d’incompréhensions sourdes. Mais, surtout, quelle respectabilité. Pas un mot plus haut que l’autre ou si peu alors que d’autres hurleraient, pas une note discordante même avec le temps qui passe. Simplement digne.
A midi, vous avez brièvement répondu aux sollicitations par obligation. Vous auriez préféré que l’on vous fiche la paix. Vous êtes l’un à côté de l’autre et dès que l’un s’écarte, il est aussitôt cherché du regard car vous faites corps. Soudés presque malgré vous.
Eux, on ne sait pas vraiment où ils sont mais on les voit partout. Il est bien impossible d’imaginer leur quotidien. On ne s’y autorise même pas. D’ailleurs, nous ne pouvons pas faire grand-chose car cela nous échappe complètement. Trop d’ailleurs. Mais le silence est coupable. Et tous ceux qui se démènent, admirablement, avec des moyens ridicules, ont votre respect. Et le nôtre.
Le fils allume une autre clope, semble saisir quelques mots à la volée mais il n’y a rien dans l’air qui n’ait pas déjà été dit. Je le sens agacé. Peut-être parce qu’il n’y a pas assez de monde. Il parle à un ami, sourit mais le cœur n’y est pas. Un élu parle à sa mère. Elle refuse un sanglot. On montre au père une carte postale avec deux visages qu’il ne connaît que trop. Un plus que l’autre. On lui dit qu’on peut écrire un mot ou plusieurs et qu’elles seront expédiées au ministère. On est dans le symbole. Alors que nous devons juste bousculer des montagnes.
On ne s’habitue pas à l’absence. Chaque jour est un cri. L’intérieur est rongé. On tient avec les nerfs, quelques bons amis et une volonté de fer. Et, à n’en pas douter, une assistance médicamenteuse.
Il frotte ses lunettes maintenant, lâche un gros soupir, embrasse un visage connu et dit du mal de nos gouvernants dans la conversation. Tout en se retenant. Il regarde son frère qui n’est toujours pas là. Mais on vient juste de dérouler la bâche et son portrait inonde le ciel d’Antigone avec son camarade de misère. C’était à midi aujourd’hui pour des 400 jours faute de 400 coups. Thierry mais aussi Gérard et Arlette Taponier sont repartis aussi discrètement qu’ils étaient venus à Montpellier. Pour Stéphane. Pour leur Stéphane. Et Hervé aussi qui aura 48 ans samedi. Là-bas, loin. Dans ces montagnes inhospitalières.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire