samedi 26 février 2011

Le cul de Frédéric François

Elle est de dos. Au premier coup d’œil, je m’attarde sur son imposante chevelure. Frisée et longue, elle dégage une étonnante amplitude. Un roux léger tirant sur le châtain. Elle porte une veste noire et courte, des bottines élégantes et un sac à l’épaule imprudemment entrouvert. Quelqu’un devrait d’ailleurs lui dire de faire attention car on aperçoit certains effets. Dont une brosse et un livre. Je ne peux être celui-là car ce serait inconvenant me dis-je. En fait, je n’ose pas. Cependant, je me surprends à me déplacer légèrement comme si je voulais deviner le nom de l’auteur du bouquin. Et voici qu’un tiers profite de ces instants de trouble pour se faufiler et gagner une place ou deux dans la file. Le fourbe !
D’un mouvement latéral et brusque, je reviens à ma place comme pour m’offusquer de l’outrecuidance de l’intrus. Dérangée par le manège qui se trame dans son dos, elle se retourne quelques secondes et j’aperçois des tâches de rousseur au milieu d’un visage éclatant et marqué par un large sourire. Elle n’a pas dit mot. Mais on a l’impression qu’elle a parlé, qu’elle nous a dit de ne pas pousser, que notre tour viendrait naturellement. Dès lors, il n’y aura plus aucun désordre dans la file. Aucun mot échangé.
Comme un con d’homme, qui ne voudrait pas capoter, j’essaye de regarder ailleurs mais reviens assez régulièrement sur son cul. Je pourrais dire sur ses formes callipyges pour entretenir une illusion poétique et une certaine finesse. Mais, c’est une réalité au moins depuis Balzac, « une femme montre plus promptement son cul que son cœur » . Un homme aussi du reste ! Et celui-ci était magnifique. Ferme, bien rond, occupant un jean juste comme il le fallait. Sans excès. Quand on fait la queue, peu importe l’endroit, l’impatience et l’inactivité font que l’on s’invente vite des histoires. Et ce n’est pas parce qu’on parle de cul que l’histoire est forcément sexuelle. Ce postérieur a beau être bien séant, il ne me viendrait absolument pas à l’idée d’en savoir davantage sur sa propriétaire. Vous n’êtes pas obligés de me croire.
D’ailleurs, lorsqu’elle sort son téléphone pour passer un appel, je suis heureux de pouvoir mettre un prénom sur cette crinière au vent et cet extérieur agréable au regard. Et sans doute au toucher. Ce sera donc Maria. Sa voix semble assez agréable elle aussi. Je rêve de voir un objet quelconque tomber de son sac afin que nous nous baissions (il est important ici de vérifier qu’il y a bien deux « s ») tous deux pour le ramasser et que nos regards se croisent et que nous remontions en nous frottant légèrement comme dans les films…
A y être, elle vient d’agiter sa chevelure avec la virtuosité d’une publicité pour shampooing. Quelques minutes passent. Calmement. Son sac semblant assez bien rempli, voici que Maria adopte maintenant une position consistant à s’appuyer exagérément sur sa jambe gauche comme pour faire contrepoids, pose qui réajuste aussitôt le jean et donc son contenant et qui le présente sous un aspect encore plus prometteur. Cela en serait presque gênant. Je ferme les yeux un moment et ne pense à rien.
Il s’agit de reprendre son souffle et non pas de songer aux plus folles étreintes. Un homme s’évacue et Maria prend place face à la guichetière. J’ai alors devant moi une vue imprenable mais je n’en abuse pas. D’autant que nous ne sommes pas seuls et que je pourrais vite être repéré. Mais quel cul quand même Maria ! Il doit faire des envieux. Elle va passer commande. Peut-être espérons nous des billets pour le même concert…
- « Bonjour, il me faudrait 2 places pour Frédéric François au Zénith le 25 mai, s’il vous plaît ».Elle était encore occupée à régler que, déjà, je tournais les talons. A mon tour, je lui présentais mon cul…

2 commentaires:

  1. Savoureux.
    Au début, juste cru que quand ce cul allait se retourner, c'est Frédéric François qui allait le porter.

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  2. Maria a toujours détesté Frédéric François. Elle le subit depuis sa prime jeunesse durant des heures où le balai brosse se transforme en micro sous les sunlights d'un dancefloor à récurer par sa mère. Pendant ces instants de ménage, Rose, vêtue de sa blouse à carreaux, s'évade de son quotidien sur les notes de Frédéric. Elle oublie que son mari est parti pour le cul d'une rousse, sa meilleure amie d'autrefois et s'envole dans les bras de Frédéric qui lui murmure « Je voudrais dormir près de toi ». Maria a renoncé depuis longtemps. Elle voit sa mère vieillir de plus en plus, toujours cramponnée à ses illusions, refusant d'ouvrir les yeux sur sa vie, le constat d'échec serait bien trop grand. L'anniversaire de Rose approche et Maria sait que Frédéric François est en tournée. Elle a pris deux places au Zenith, pour elle et sa mère. Elle espère que l'espace d'un soir, sa mère retrouvera un peu d'aérien, et pourquoi pas espérer une rencontre furtive avec son idole, le temps d'un autographe, le temps que Maria puisse voir les yeux de sa mère briller un peu... les histoires familiales se répètent, Maria est désormais seule avec son enfant de 3 ans. Elle en a oublié elle aussi qu'elle était belle, peut être un jour elle croisera de nouveau un regard qui puisse le lui rappeler...pourquoi pas dans une file d'attente

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