vendredi 31 décembre 2010

BREKA NAZAIRE KOUKOUGNON

Breka Nazaire Koukougnon : son patronyme était déjà tout un poème. 
Je me souviens parfaitement de son arrivée à Bordeaux. Il avait débarqué quelques jours après nous sur le campus de l’IUT à Gradignan, en provenance de sa Côte d’Ivoire natale qu’il n’avait jamais quittée auparavant. Il avait une trentaine d’années.
C’est Edith Rémond, la directrice de l’école, qui l’amena jusqu’à moi alors que je me trouvais au self, parmi d’autres, à la mi-journée. Il paraissait complètement perdu, scrutait son nouvel environnement avec des yeux presque apeurés (il faut dire qu’entendre les étudiants en carrières sociales jouaient de la guitare à l’heure du sandwich, cela faisait vraiment flipper) et je n’ai pas pu éviter une plaisanterie lorsqu'il donna son nom. « Eh bien, ça commence plutôt mal ! C’est un pseudo ? » 
C’était bel et bien son nom. Contrairement à nous, qui étions là pour apprendre notre futur métier, Nazaire venait pour se perfectionner. Il était déjà journaliste et travaillait à Abidjan pour Fraternité Matin. Un canard qui nous était parfaitement inconnu et qui l’est toujours aujourd’hui d’ailleurs... Notre nouveau camarade avait bénéficié d’une bourse d’Etat, que l’on devinait généreuse, de la part de Félix Houphouët-Boigny. N’importe quelle biographie sérieuse souligne au sujet du père de la « Françafrique » combien il incarnait alors un régime dictatorial rongé par une corruption endémique. Nazaire, lui, voyait aveuglément en lui (évitons ici tout jeu de mots superfétatoire avec ivoirien merci) comme un second père et ne riait pas toujours à nos blagues potaches sur le dit président. « Oh non Jérôme, ça il ne faut pas le dire. C’est pas gentil quand même ! » me grondait-il parfois, comme si un gourou menaçait de me jeter des sorts depuis Yamoussoukro. Puis, Nazaire partait dans un rire communicatif dont il avait le secret.
Entre autres caractéristiques, Nazaire affichait une conception toute africaine de la ponctualité horlogère doublée d’une nonchalance coupable qui tendait parfois vers l’infirmité. Ce garçon se tenait à l’abri de toute brutalité. Il allait à son rythme et il fallait faire avec.
Comment ne pas évoquer sa chambre de cité U ! C’était une annexe de la FNAC et de Darty réunis. Je l’ai dit plus haut, Nazaire pouvait compter sur une bourse d’État susceptible d’être sujette à l’impôt sur la fortune (j’exagère à peine). Aussi, il achetait à tour de bras des magnétoscopes, téléviseurs ou chaînes hi-fi, qui pour son cousin, qui pour sa tante, qui pour un collègue… Avec la ferme intention de ramener tout cela au pays quand bien même il lui faudrait louer un bateau. En revanche, il ne comprenait pas pourquoi j’achetais autant de disques. « C’est pour faire travailler tes chaînes hifi ! », assurais-je.
Un soir où il m’invita à dîner, c’est bien simple je dus manger mon plat de pâtes sur je ne sais quel engin électronique faisant office de tablette dans son capharnaüm. Sacré Nazaire ! A côté de ça, il aurait donné volontiers sa chemise. Combien de fois aussi manqua-t-il un cours ou se crut autorisé à abréger la deuxième heure parce qu’il devait aller téléphoner. A cette époque, le téléphone portable n’existait pas mais il faisait une consommation incroyable de cartes en tout genre… Il faut dire qu’il avait fondé une petite famille.
Un jour, il me fit promettre de lui rendre visite chez lui une fois nos études achevées. J’ai dit oui sans trop réfléchir, par exotisme sans doute, mais nous nous sommes complètement perdus de vue pendant quinze ans. Houphouët-Boigny est mort quelques mois après la fin de notre parenthèse girondine, autant que je me souvienne, et je l’imaginais inconsolable à distance.
Et puis, ces semaines dernières, je pensais à lui régulièrement aiguillé par l'actualité. Où pouvait-il être dans ce pays au bord de la guerre civile, écartelé entre les partisans de Gbagbo et ceux de Ouattara ? Je le pensais journaliste pro-présidentiel mais sans certitude.
Vint alors ce matin de Saint-Sylvestre 2010 où je tapais son nom reconnaissable entre mille sur Google. Le choc fut rude. Le premier lien m’envoyait direct vers une oraison funèbre à l’africaine indiquant que notre ami Nazaire était mort en mai 2008. Et nous ne l’avions pas su. Quelle misère ! L’article ne s’étale pas dessus mais rien ne dit que sa mort fut douce. Il laisse une veuve, trois enfants et une belle villa avec un intérieur en marbre. Visiblement, Nazaire a toujours su se mettre à l’abri du besoin. Tant mieux pour lui. Pour ses gosses.
Et défile le souvenir de nos jeunes années insouciantes. Je recherche encore quelques anecdotes, d’autres me reviendront certainement. Les anciens camarades de promo avec qui je suis encore en relation ajouteront les leurs.
Salut à toi Nazaire. Bonne fin de route. C’est désormais une certitude, je n’irai jamais à Abidjan.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

dimanche 12 décembre 2010

C'est ça que je dis : tome 14

JEAN-MARINE LE PEN
Eh bien voilà, nous y sommes et c’était tellement prévisible ! Tous ceux qui étaient convaincus que Marine Le Pen était plus fréquentable que son père en sont désormais pour leurs frais. En quelques phrases lancées en public pour séduire les masses, elle a montré qui elle était : la fille politique de son odieux père.
Jeudi soir, dans A vous de juger, face à l’inoxydable Arlette Chabot qui, chose heureuse, a enfin trouvé un salon de coiffure fréquentable et à Alain Duhamel - inamovible passeur de plats télévisuel aux politiques de tous bords depuis la fin de la IVe République - Marine Le Pen a pourtant voulu nous amadouer. Elle s’est démarquée un instant du tableau d’honneur paternel. Non, elle ne partage pas les convictions de Jean-Marie Le Pen au sujet de la Seconde Guerre mondiale. « Non le FN n’a rien à voir, ni de près ou de loin, avec l’idéologie nazie, qui fut une abomination. »
Soucieuse de dédiaboliser le Front National, elle restait fidèle à sa ligne de défense qui se veut une sorte de Le Pen light avec une once de fibre sociale ou familiale en option. Et cela marche pas si mal dans l’opinion.
A la date d’aujourd’hui, c’est-à-dire en composant avec l’inconnue strauss-kahnienne, je fais partie de ceux qui pensent que la prochaine présidentielle se jouera à l’heure du « t ». Soit Martine, soit Marine. Parce que la droite au pouvoir aura fait naître tant de ressentiment et d’insatisfaction que, dans quelques mois, ce n’est pas la tentation du centre qui risque de prédominer, tant le parti de François Bayrou semble réduit au rang de faire valoir, mais bel et bien celle d’un glissement vers la droite extrême. Trop heureuse de l’aubaine, elle ne manquera pas de faire venir à elle encore davantage la longue cohorte des éternels insatisfaits, les lassés de l’alternance droite/gauche, les tenants du ras-le-bol, les aboutissants du bulletin contestataire et franchouillard dans l’urne. Ces gens-là sont de plus en plus nombreux et sous-estimer leur poids et leur détermination serait une grave erreur. A droite comme à gauche.
La classe politique ne se méfiait pas assez ces derniers temps de cette Marine, blonde quadra mère de famille au regard franc, élevée sous le père, mais forcément plus glamour qu’un octogénaire borgne nostalgique de l’Algérie Française et chantre de la blague nauséabonde… Native de Neuilly comme les nains, elle a choisi l’Hénin comme terre d’élection et a su rallier les suffrages de tous ceux qui en ont plein les houilles…
Mais, bon sang ne saurait mentir. Quelques heures à peine après sa grand-messe cathodique, la future patronne de l’extrême-droite française vient nous rappeler qu’elle n’est pas du Le Pen light mais du Le Pen pur jus. Que Jean-Marie et Marine, cela donne du Jean-Marine en quelque sorte.
Jugez plutôt si elle n’a pas de qui tenir cette poupée Barbie qui a choisi Lyon pour son forfait de langue assimilant l’occupation nazie et les prières de rue des musulmans : « Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c’est une occupation du territoire. C’est une occupation de pans du territoire, des quartiers dans lesquels la loi religieuse s’applique, c’est une occupation. Certes il n’y a pas de blindés, il n’y a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants. »
Voici donc revenues les grandes heures de la diarrhée verbale et nationaliste. De la haine de l’autre. « La haine, c’est la colère des faibles », pensait à raison Alphonse Daudet. Mais que l’on ne s’y trompe pas ! Ce sont des mots ciblés, des banderilles programmées, bientôt programmatiques, et ils feront mouche auprès d’une partie de l’opinion. Il ne faut pas se contenter de les combattre mollement avec des réactions médiatiques outrées et prévisibles comme le font trop systématiquement les politiques en vue.
Il faut un combat de tous les instants dans notre quotidien pour faire reculer cette pensée raciste et d’un autre temps. Et s’il n’est pas toujours évident de montrer les vertus du vivre ensemble dans cette époque chahutée, où domine le sentiment que toute concession à l’autre se fait au préjudice de son propre pré carré, il n’y a pourtant pas de modèle de société plus convenable. Alors, de grâce, unissons nos efforts pour faire en sorte que le métier de demain de Jean-Marine Le Pen soit uniquement celui d’avocat car la France qu’elle veut pour nous n’est pas l’idée que nous nous en faisons.

jeudi 11 novembre 2010

C'est ça que je dis : tome 13

LE PETIT DES GRANDS DE CE MONDE
Françaises, Français
Je tiens à vous rassurer notre Président est bien arrivé à Séoul pour le G20. Ce matin, il a pris son petit déjeuner (une Ricoré du Sud sans doute) en amoureux à bord de son nouveau joujou : Air Sarko One.
Le voyage s’est déroulé sans nuages. De quoi faire taire les critiques des esprits obtus qui s’offusquaient du montant de ce paquebot des airs acheté pour la modique somme de 180 M€ à Air Caraïbes et des innombrables vols d’essai vers Tahiti.
Et vous savez que même avec une enveloppe de plus de
91 M€ pour tous les aménagements et la déco, ce ne fut pas si facile que de convertir cet A 330-200 de 324 places initiales en un avion VIP d’une soixantaine seulement avec chambre, salle de bains et vaste espace de réunion. Mais il n’était pas question que notre Président ne soit pas à son aise. Car chacun sait qu’il voyage beaucoup. Et qu’il n’a que trop souffert dans ces Falcon inadaptés aux vols longue distance qui devaient parfois faire des escales. Alors, il est inutile d’engager des polémiques stériles pour un palace des airs à 20 000 € l’heure de vol qui a l’avantage de filer d’une seule traite.
Vous connaissez la volonté de notre Président d’être au dessus de tout soupçon. Ainsi, pour plus de discrétion, il a eu la présence d’esprit d’amputer ce montant sur le budget de la Défense qui, en ces temps de paix planétaire, n’a de toute façon besoin ni d’armements superflus ni même d’astiquer ses vieux missiles.
Et lorsque le rapport annuel du budget de l’Armée a laissé apparaître que l’entretien de Air Sarko One coûterait 49 M€ par an pendant trois années pour 700 heures de vol prévues, notre Président a eu raison de vouloir stopper aussitôt toute velléité de contrôle. Un scandale d’État est si vite arrivé…
En effet, un député socialiste, celui là même qui est chargé de l’examen du budget des Armées, s’était mis en tête de visiter Air Sarko One pour mieux vérifier les dépenses et les ors intérieurs. Et pourquoi pas le faire visiter à la presse tant que vous y êtes ! Devant une telle outrecuidance, attitude révélatrice d’un parlementaire gauchisant, notre Président a évidemment refusé tout net et s’est même promis de faire battre cet apparatchik dans sa circonscription. Non mais !
A un journaliste spécialisé aéronautique, qui ne pouvait s’empêcher d’ergoter sur le fait que l’ancien airbus présidentiel ne coûtait que 4,1 M€ pour 1 700 heures de vol, notre Président a eu beau jeu de revenir à l’essentiel pour dire qu’à compter de la 4e année, cela ne sera plus que 10 M€ par an. Ces reporters ont toujours le chic pour s’attarder sur des détails et oublier l’essentiel. Même les économies faites sur le budget de la Nation.
Air Sarko One est également à l’abri des brouillages et des contrepèteries. Un dispositif à 25 M€ a été installé pour pas qu’on ne lui brouille l’écoute. Maintenant, s’il tient vraiment à la contrepèterie, notre Président peut se diriger vers sa chambre nuptiale avec ce lit aux mensurations de rêve - peut-être pour évoquer les plus belles années de notre Carlita - 2 mètres sur 2,2. Bigre. Afin que nos occupants élyséens soient perturbés le moins possible, cette suite (dans les idées) a été agencée juste derrière la cabine de pilotage moins pour que l’on saisisse le manche que pour être à l’abri des turbulences.
Pendant ce temps-là, à l’opposé dans la carlingue, les happy few du genre époux Balkany, Christian Clavier ou David Douillet peuvent taper le carton en class business avec les gardes du corps.
Et bien voilà, nous avons placé notre Président dans les meilleures conditions pour qu’il puisse convaincre ces amis du G20 à Séoul que nous devons moraliser notre système financier et faire des économies de grande échelle.
Quant à moi, je vous laisse M. le président pour aller tapoter sur le site Internet de Ryanair. Des fois qu’il y ait un billet à 49€ pour Djerba…

dimanche 7 novembre 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est de moins en moins chaque jeudi !) tome 12

LE ROCK FRANCAIS EST-IL EN ETAT DE MORT CEREBRALE ?
Regard circulaire sur mes achats vinyliques et autres téléchargements plus ou moins légaux de l’année en cours. Le constat est cruel au rayon rock français, éternelle composante majeure de ma discocdthèque, c’est une morne plaine façon Waterloo et sans le Sunset.
Rien à se mettre sous la dent ou presque. Pas une belle chanson bien écrite depuis des mois - hormis le France Culture d’Arnaud Fleurent Didier dans le genre nouveau Polnareff pour bobos qui fera un élégant prix Constantin par défaut. Et, si l’on devait attribuer le single de l’année en français dans le texte, on serait franchement bloqué aux entournures. Au point de glisser outre-Quiévrain, de Waterloo vers Ostende, et d’élire l’inusable Arno dont le Quelqu’un a touché à ma femme fut frémissant dès la première écoute de ce diptyque voix-piano.
C’est à n’y rien comprendre car nous avons aujourd’hui tous les ingrédients d’une profonde crise sociale qui devrait contaminer toute une génération hirsute et rebelle. Une invitation forcée à prendre les guitares et les amplis pour mettre des coups de pied dans les poubelles, contrarier les profs, secouer l’ordre bourgeois, incendier les bonnes consciences et dénoncer ces gouvernants qui nous oppressent. Au lieu de cela, c’est l’atonie des riffs ébouriffants et des refrains décoiffants.
Certes, nous avons M. Mais il semble, parfois, sur une pente descendante, et reste un gendre idéal et non violent. On a BB Brunes, Naast et compagnie. Mais c’est tout juste bon pour les ados acnéiques. Les Plasticines et Izia manquent de maturité. Oui, en furetant à droite et à gauche, il est possible de trouver une pépite prometteuse. Mais, globalement, ça ronfle grave.
Oublions au passage la persévérance attristante d’Indochine - en passe de suppléer Little Bob Story ou La Souris Déglinguée en matière de longévité - tant Nikola Sirkis a de quoi irriter avec son éternel jeunisme quinqua pour midinettes. De toute façon, à quelques bricoles près, il est inaudible depuis L’aventurier
Alors, comme souvent en pareil cas, on verse dans la nostalgie facile des belles années. L’espoir suscité autour d’un hypothétique retour de Noir Désir (dont Eiffel est un succédané) dépasse l’entendement. Je fais partie de ceux qui pensent que Bertrand Cantat a payé sa dette et qu’il est de toute façon condamné à vie à des nuits de tourments en ayant perdu deux femmes… Mais je ne pense pas Noir Désir capable de retrouver la scène comme à l’époque de Tostaky. Trop d’années ont passé… Bertrand Cantat est-il encore capable de jouer malicieusement sur les mots et d’écrire « Tout passe, tout casse, le joint, le cul lassent » ? En tous les cas, il ne se roulera plus par terre en magnifiant un Helter Skelter électrisé. Et il n’est pas exclu qu’un illuminé veuille lui faire un destin à la John Lennon. Dès lors, à quoi bon ?
D’autant que le paysage musical a changé. Bashung est mort. Jacno et Fred Chichin aussi. Daniel Darc est revenu chez les vivants pour un Crève cœur d’exception et nous conter des amours suprêmes. Depuis, il est de nouveau chancelant. Il ne reste plus rien de la furia alternative des eighties si ce n’est quelques reformations ponctuelles et hélas pas toujours heureuses…
Alors, jeunesse de France, qu’attends-tu pour te bouger le cul ?
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

dimanche 24 octobre 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est souvent chaque jeudi !) : tome 11

ET SI LES FRERES BOGDANOFF ETAIENT DES FAUX ?
Quand j’étais petit, ils me faisaient peur. Peut-être même que, sans le savoir, je leur dois mes pires cauchemars sous la couette. Car je reste persuadé que, plus ou moins malgré eux, ils ont terrorisé toute une génération d’enfants. Voire deux. A cause de leur faciès ingrat en forme de bis repetita et de toutes ces étrangetés futuristes qu’ils nous montraient sur Antenne 2, dans Temps X. Ils avaient des passions qui n’étaient pas les nôtres, voulaient nous les faire partager à tout prix et semblaient intimement persuadés qu’il y aurait une vie ailleurs...
Car si pour la plupart d’entre nous le « x » évoque le rayon films de cul, chez ce duo c’était plutôt le rayon électromagnétique.
Puis, ils ont disparu. Subitement. Comme si une soucoupe violente était venue les ramasser dans la clairière où les jumeaux avaient probablement été déposés quelques années auparavant. Une fois leur mission d’évangélisation futuriste achevée, ils seraient partis sur une autre planète pour ergoter avec quelques illuminés sur les vertus de l’année 2257 taillée au laser de la science fiction.
Car enfin quand on regarde aujourd’hui - c’est-à-dire en 2010 car eux n’ont pas le même calendrier interne que nous -, les frères Igor et Grichka Bogdanoff, sommes nous réellement en présence de deux sexagénaires ? Pensez-vous que ces Heckle et Jeckle ont un corps beau ? Croyez-vous toujours, en les regardant, aux vertus nourricières de la terre du Sud-Ouest en songeant que ces deux canards gras, bien laqués, seraient natifs de Saint-Lary ? Sont-ce bien là deux produits fermiers élevés en plein air, élevés en plein Gers ? En tous les cas, s’il est prouvé que le bonheur est bien dans le pré, on se dit que le malheur est assurément dans l’à peu-près !
Il faut être spécialiste, et je ne le suis pas, pour évoquer l’acromégalie à leur sujet mais un simple coup d’œil montre que l’on est en présence d’organismes gentiment modifiés. Même Averell Dalton, qui est pourtant un modèle pour caricaturiste en terme de menton angulaire, n’a jamais été affublé de pareille protubérance. En regardant Igor et Grichka, on ne préfère pas savoir l’adresse de leur spécialiste du bistouri. Inutile de façonner leurs marionnettes pour Les Guignols de l’Info, ces jeunes hommes conservés au mystère les ont réalisées eux-même. Certainement à grands frais et ça effraie.
Pourquoi vous dire tout cela ? Parce qu’ils viennent d’être l’objet d’allégations compromettantes largement reprises par la presse ces derniers jours. Elles ont pour origine un rapport du CNRS datant de 2003 où des chercheurs agréés assurent que les thèses de doctorat soutenues par Igor et Grichka n’auraient aucun fondement scientifique. Pour leur défense, les frangins estiment, eux, qu’il y a de la jalousie là-dedans et que les dits scientifiques ne supporteraient pas qu’il y ait des personnalités médiatiques parmi eux.
Et voici donc que la doublette russe Bogdanoff refait parler d’elle. A force d’imposture présumée et d’étrangetés savamment maîtrisées, notre tandem franco-russe surfe sur une notoriété largement supérieure à celle des frères Karamazov qui avaient pourtant l’avantage d’être quatre et d’une lecture plus recommandable que leur Nous ne sommes pas seuls dans l’univers grâce au talent tout autre de Dostoïevski.
Et quand ce n’est pas la science qui fait parler d’eux, c’est la rubrique people. Et là, aussi, tout est dans la démesure. A l’image de ce mariage d’Igor qui, pour épouser une descendante de Louis XVI, a eu besoin, rien que ça, du château royal de Chambord. Et voici maintenant que les jumeaux lancent leur propre web-TV au nom de baptême égotique : bogdanoff TV !
Ces deux là sont d’une autre planète. Finalement, ils sont même plus marrants que dérangeants. Mais je crois vraiment qu’ils ne sont pas seuls dans leur tête et je me demande parfois si c’est des vrais ou des faux…

mercredi 13 octobre 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est chaque jeudi !) : tome 10

Format court
Cet après-midi, parmi les déplacements programmés de notre premier magistrat, figurait une infiniment classique inauguration de terrain de football dans un quartier proche de l’autoroute A9. Car, signe des temps, les aires synthétiques vampirisent singulièrement désormais les étendues gazonnées. Les gamins s’en footent. Du moment qu’il y a un ballon et que l’on peut courir après…
Arrive l’incontournable coupure de ruban (- il faudra bien un jour rompre avec ces us inauguraux. Pourquoi l’édile ne tirerait pas un penalty je vous le demande ?). Madame le maire s’exécute sans faute de goût avec un maniement de ciseau que n’ont d’ailleurs pas tous les figaros diplômés. Puis, tout à coup, voici que les jeunes footeux, nous avions au moins quatre équipes sur le tapis vert, se disputent des bouts de ruban. Un d’entre eux s’attire même les rires en remplaçant le coutumier « Madame le maire, madame le maire » par un vibrant « Madame le juge, madame le juge ». Peut-être l’influence indirecte d’un grand frère ayant commis un faux-pas...
Toujours est-il que les observateurs avaient de quoi rester pantois devant cette soudaine frénésie à un âge où les Pokemon ont habituellement plus d’audience que les symboles de la République. Quelques instants plus tard, tous les enfants avaient porté leur ruban tricolore sur le haut du bras. Comme pour être le capitaine de l’équipe. Quant à la République, elle repassera…

lundi 11 octobre 2010

C'EST CA QUE JE DIS : tome 9

LE GRUYERE ET LE CHARIOT
Les adultes sont de grands enfants. Et certains demeurent même des adolescents attardés plus ou moins malgré eux. J’en connais un, c’est un proche, qui trimballe depuis l’enfance deux tares qui n’en sont pas véritablement mais qui, plus il entre dans l’âge, deviennent en tous points navrantes. Même l’entourage s’en plaint désormais.
Oh, ce jour là - je veux parler de la première fois que le symptôme est apparu -, il ne devait pas avoir 5 ans ! Il déjeunait en famille le plus normalement du monde et le repas touchait à sa faim. D’ailleurs, comme il n’était pas repu, le gruyère qui venait d’être négligemment posé sur la table, lui faisait de l’œil. Le père lui coupa une fine tranche. Mais le garnement ne trouvait pas l’épaisseur à son goût. Comme aucun commensal n’avait l’intention de satisfaire son appétit supplémentaire, voilà qu’il saisit vigoureusement la plaque fromagère avec la conviction du fermier de nos campagnes. Et soudain, alors qu’il s’empare du couteau, il se lance en même temps dans une imitation bruyante de la scie électrique dont le seul bruit avait pour but de feindre de forcer et de faire rire le petit frère qui lui ne se forçait pas devant tant de stupidité juvénile rassemblée sur un seul sujet.
Nous aurions pu en rester là. Et l’évocation de l’anecdote de fin de repas n’aurait éclaboussé que la suivante tablée dominicale où, entre la poire et le fromage évidemment, un témoin du délire serait revenu sur cet épisode finalement plus drôle que fâcheux. Le problème est que des années durant, et parfois même encore de nos jours, il ne fut pas possible de mettre de gruyère à table, avec des variantes sur le Comté parfois, sans que, invariablement, le garçon ne se saisissât (j’ai un doute temporel là !) d’un couteau dans l’optique d’infliger à l’assistance la douce mélopée de l’artisan qui perce ou qui scie. Certes, cela n’a jamais demandé un effort physique incommensurable mais, incontestablement dans cette affaire, tout se jouait dans la tête. On pouvait dire que l’emmental était touché !
L’habitude ayant largement fait le tour du cercle familial, on se souvient même du sourire d’anticipation de quelque oncle ou cousins pressés non pas de quitter la table mais de voir arriver le plateau de fromages pour découvrir de visu l’imitation qui valait à son auteur une solide réputation allant bien au delà des tablées potagères automnales.
Il y a peu, l’intéressé dînait avec sa belle dans un établissement bien en vue de la cité où il n’est pas franchement d’usage de faire des mimiques avec la bouche tandis que l’on apprécie un aligot lozérien couplé à des cèpes des sous-bois.
Eh bien, notre zélé dégustateur de lait vachement solidifié ne put s’empêcher en sourdine de procéder à son coutumier raclement de gorge devant une femme désespérée de voir aucun progrès tangible à l’horizon tout occupée qu’elle était à tourner la tête afin de s’assurer qu’aucun voisin n’avait été incommodé par cette triste représentation. Il n’y a pas de raison que nous en restions là…
L’autre phénomène étonnant, à dire vrai plus répandu, a pour cadre en principe un parking de supermarché légèrement en pente. L’action est tout aussi systématique qu’avec le gruyère et on touche là au désespérant voire à l’incurable. Peu importe le chargement du chariot (je ne dis pas Caddie car c’est une marque déposée et ce blog étant en libre accès, il n’est pas question ici de payer des droits de propriété commerciale non mais !) et peu lui chaut la proximité ou non de quidams avec leurs sacs remplis de courses pour la semaine.
Tel un cochet de diligence, il se dresse fièrement et se laisse glisser avec le chariot, les pieds bien décollés du sol. Des fois, entre le poids du chariot garni et le quintal approchant de l’intrus, la direction prise par l’ensemble ne semble pas la bonne. On s’en écarte même dangereusement. Mais, au prix de moult gesticulations, et si possible sans reposer les arpions sinon c’est trop facile, l’intrépide parvient toujours à ramener le réceptacle là où il faut, c’est-à-dire juste à côté de la voiture. Car l’objectif de la manœuvre est de se détendre durant quelques secondes certes mais aussi d’atterrir le plus près possible du coffre arrière. Ce n’est pas tout de faire le pitre, il faut aussi décharger.
Un récent samedi après-midi, où le parking est plein à craquer, notre homme s’adonne à sa pitrerie habituelle et ajoute pour garantir l’ambiance une parodie musicale assez mal exécutée du I’ve got a feeling de David Guetta versus Black Eyed Peas. C’est alors que ce convoi dangereux frôle un véhicule parfaitement garé duquel sort une dame qui reste bouche bée de voir passer si vite un Satanas à qui ne manquait que son Diabolo. Et là, moment de solitude avéré, le tiers reconnaît sans avoir de doute une connaissance professionnelle avec qui rendez-vous est pris le surlendemain pour évoquer quelques dossiers de première importance. Dès à présent, il sait qu’il ne pourra attaquer favorablement l’ordre du jour sans que sa presque victime se mette à rire en pensant à cette rencontre d’un autre type. Un drôle de type !
D’elle, il ne sollicite rien, pas même un peu de discrétion. Le voici déjà occupé à ranger les sacs alors qu’elle a tourné le dos depuis un moment déjà. Cela devait finir par arriver. Mais pas la quarantaine franchie…

mardi 5 octobre 2010

C'est ça que je dis (parce que souvent c'est chaque jeudi !) : tome 8

LETTRE A UN SOLDAT INCONNU
François Isidore Carrière, je ne vous ai jamais vu. Et pour cause, les tables décennales de la mairie de Saint-Rome-de-Dolan en Lozère indiquent à qui veut bien le déchiffrer que vous êtes né le 6 mai 1820 !
A dire vrai, j’ai même eu quelques difficultés à trouver votre trace. Car vous demeuriez, sur une page quelque peu noircie, parmi des frères consanguins. En gros, tout le monde n’étant pas généalogiste occasionnel, vous seriez un des neveux du grand-père de mon grand-père. Et le petit dernier d’une fratrie nombreuse et riche en sujets féminins. Voilà qui nous fait une belle jambe. Membre que vous avez d’ailleurs perdu au combat et ce ne fut pas le seul apparemment. Car vous avez même été massacré.
Dimanche dernier, nous fûmes une petite centaine à venir vous rendre hommage par une matinée pour le moins ventée (mais pas au point de contrarier l’exécution des cors de la musique du 21e bataillon des chasseurs alpins venu d’Annecy). Désormais, votre nom s’étale en lettres respectueuses sur le monument aux morts de cette localité, chère à mon cœur et forte d’une soixantaine d’âmes, qui surplombe majestueusement les non moins majestueuses Gorges du Tarn.
Vous voici au côté des Poilus de 14-18 et d’une victime d’Algérie au rang des Morts pour la France. Tandis que venait de cesser la glaçante sonnerie aux Morts, je regardais le député local qui, sitôt la cérémonie achevée, trouva le moyen de venir féliciter un tiers pour sa décoration du jour… alors même que celui-ci ne figurait pas au rang des récipiendaires !
Puis mes pensées revenaient vite vers vous, François Isidore Carrière, bien tardif héros d’un jour sur ses terres. Nous commémorions là, en comité restreint, derrière des porte-drapeaux et étendards essentiellement de couleur bleue et jaune, le 165e anniversaire de Sidi-Brahim. Une bataille, je l’avoue sans honte, dont je ne connaissais que le nom et la date très approximative.
Internet m’a appris le reste. Et je vous imaginais dès lors jeune paysan d’une vingtaine d’années, quittant le causse Méjean sans pouvoir faire de promesse de retour aux siens, parti pour un ailleurs lointain, forcément méconnu, et pour une cause imposée au service du pays. Dans le marabout de Sidi Brahim, la grande Histoire - qui a fait de vous des héros - stipule que vous luttèrent trois jours et autant de nuits durant contre les troupes bien plus nombreuses d’Abd el Kader. Au point de périr jusqu’au dernier et je vous épargne les détails…
Voici quelques mois, j’avais reçu un coup de téléphone d’un citoyen lozérien, ancien chasseur de son état, mais nettement plus contemporain que vous, car bien en vie, qui avait été orienté vers moi par des connaissances communes. Il avait en sa possession votre livret militaire et j’avais votre extrait de naissance. Nous échangeâmes nos informations et étions presque en mesure de faire un début de portrait de vous.
Je comparais la douceur mélancolique de mes 20 ans à la sauvagerie exacerbée des vôtres et relativisais bien des menus tracas de notre époque. Votre destinée n’a, finalement, rien d’extraordinaire car chaque famille ou presque peut trouver la trace d’un jeune homme trop tôt disparu sous le feu nourri de balles ennemies.
Mais, dimanche dernier, cher François Isidore inconnu, tout en me tenant un peu à l’écart des militaires que je n’ai jamais trop suivi au pas, surtout avec deux modestes mois d’Armée !, j’ai trouvé logique de venir vous rendre un hommage aussi rapide que respectueux. Pour, sans mauvais jeu de mots, ne pas être en reste…

vendredi 1 octobre 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est chaque jeudi !) : tome 7

RTL2 TRICHE TOUJOURS UN PEU
Vous écoutez RTL2, le petit frère non luxembourgeois de cette station qui diffuse Les grosses têtes depuis l’après guerre ? Si vous répondez non, vous avez bien de la chance. Personnellement, à l’heure où je me rase en pensant à rien de particulier ma fois, je gobe malgré moins la logorrhée navrante du tandem Laurent Nicolas & Agathe Lecaron, lesquels sont persuadés de nous déverser du son pop-rock car « RTL2 ce n’est pas de la radio, c’est de la musique » en nous gratifiant chaque matin ou presque d’un Indochine version « Trois nuits par semaine » qui donnerait au plus romantique d’entre nous des envies de meurtre sur animateur radiophonique décérébré.
Plutôt que de subir passivement, je n’ai qu’à tourner la molette et passer à une autre station. Je suis bien d’accord avec ça. Mais c’est que je m’en voudrais beaucoup de manquer les informations avec l’impayable Roger Fabre. Nous allons revenir vers ce journaliste fantôme qui n’honore pas la profession. Mais, pour comprendre où je veux en venir, il faut d’abord s’intéresser aux fréquences de RTL2.
RTL2 Nantes émet sur Nantes même s’il pleut et RTL2 Bordeaux rayonne dans la cité girondine, c’est d’une logique implacable. Sauf que, chez nous, tout au Sud, c’est une autre paire d’antennes. Nous avons un RTL2 Languedoc-Roussillon avec un animateur et une journaliste basés à Perpignan et un RTL2 Agde-Béziers laissant croire que l’invasion touristique estivale et littorale obligerait à une activité de pleine saison spécifique au seul Est héraultais.
Et Montpellier dans tout ça ? Nous sommes rattachés à RTL 2 Méditerranée. Pourquoi pas ! Sauf que la zone couverte va d’Avignon à Montpellier en passant par Tarascon et Arles avec un Roger Fabre donc que l’on imagine aller de Vaucluse en Hérault tel un journaliste en herbes… de Provence ! En fait, il est sagement planqué au bas des Alpilles.
Avez-vous déjà vu un journaliste de RTL2 assister à des conférences de presse, des poses de la première pierre, à des coupures de ruban, à des rencontres sportives, sur la piste d’un fait-divers retentissant ou en plein travail d’investigation dans le Clapas ? Non. Et pourtant, chaque matin, dans le poste, notre reporter fait comme si. Sans honte, il fait croire à tous ses auditeurs qu’il a récolté lui-même l’information la veille ou le matin à la première heure en crapahutant sur le pavé montpelliérain stylo à la main, nagra sur l’épaule et avec une fierté souriante.
A RTL2 Méditerranée, peu importe qui a recueilli l’information et l’a traitée. On se sert gaillardement sur le site internet des quotidiens régionaux et tout va bien. On pille, on cite très peu souvent sa source et on s’emmerde le moins possible. C’est l’anti école de journalisme par excellence. La déontologie ? La déonto quoi ? Le tout, c’est de balancer les news vite fait Coco parce que Paris reprend l’antenne après le décrochage. Le technicien est déjà prêt à envoyer le dernier opus de Raphaël.
Dans une autre vie pas si lointaine, je me souviens d’un fou rire matinal à la suite duquel j’avais mis du savon à barbe plein le miroir de la salle de bains. Nous étions le 1er avril et notre Roger Fabre en fit une belle. Toujours taquine, la presse aime ce jour-là glisser un poisson gros comme le bras dans les colonnes avec plus ou moins de tact. Tout est affaire d’écriture et le canular est démenti le lendemain. Ce jour-là, nous avions essayé de convaincre le lecteur de la candidature de Montpellier pour les Jeux Olympiques de 2024... C’était gros mais pas suffisamment pour les mailles du filet de nouvelles de RTL2 qui goba goulûment cette fausse information sportive non vérifiée.
Oh, j’entends d’ici les Cassandre ! Non, je ne brise pas ce que j’aime toujours au fond de moi. Mais j’ai quand même le droit d’écrire que certains ne jouent pas le jeu et trichent ouvertement non ? D’ailleurs Roger Fabre, je ne lui en veux même pas. Il est prisonnier d’un système mal agencé qui fait qu’il serait le premier à se féliciter d’avoir un collaborateur qui fait le travail à Montpellier.
En attendant, je connais plus d’un confrère qui, chaque matin reconnaissant des titres de leur cru, ont envie de lui faire une grosse tête…

mardi 21 septembre 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est chaque jeudi !) : tome 5

COLUCHE, DESPROGES ET MON FILS AINE
Hippolyte écoute avec une régularité qui lui sied bien au teint les sketchs de Coluche et Pierre Desproges dans sa chambre. Heureux jeune homme… De temps à autre, j’entends le fils aîné se bidonner d’une plaisanterie fine et cela me plaît bien. D’abord parce que je crois rajeunir - alors même que les poils blancs qui composent ma barbe ne trompent hélas pas - et puis parce que bon sang ne saurait mentir… Voilà qui nous change de Grand Corps Malade, autre habitué de sa chaîne hifi, qui n’en finit pas de traîner sa misère sentimentalo-banlieusarde au point qu’on se demande si cet homme rigole parfois.
Mais, il ne suffit pas de livrer les CD de nos vibrants humoristes eighties en pâture. Ce serait trop facile. On doit aussi encadrer l’éducation rieuse des zygomatiques. Car, pour bien saisir la finesse de leurs esprits aiguisés, il est impératif de se replacer dans le contexte de l’époque.
Tiens, par exemple, je passais dans le couloir l’autre soir et j’entendais la voix de Michel Colucci reconnaissable parmi mille (Mimille, l’oncle Emile, n’a rien à voir là-dedans merci) s’égosiller de la sorte : « Ne m’appelez plus Manufraaaaannncccceee, la France elle m’a laissé tomber… »
Comment voulez-vous qu’un collégien des années 2010 puisse comprendre sans aide les œillades à l’actualité période Roger Gicquel ? Et me voilà expliquant la fierté maritimo-De Gaulienne qui prévalait alors. Où l’on fredonnait « Il était un (gros) navire qui n’avait ja ja jamais fatigué » jusqu’à ce que nous le cédâmes - mais les hommes n’y étaient pas pour rien - aux Nordiques pour qu’ils haussent l’eau. Le France devint Norway et prit la mer sous les yeux embués de pans entiers de nostalgiques inconsolables dont le séjour merveilleux en studio cabine engloutissait pourtant une année pleine de congés payés. Mais, bon, tant que la croisière s’amusait ! Et il fallut de fait tout le talent d’un Michel Sardou, au sommet de sa carrière de chanteur de droite, poussant le patriotisme jusque dans ses frisettes et son perfecto d’interprète de bal, pour défendre l’honneur de la « mer » patrie. Alors que si ça se trouve, il a pas le pied marin.
Et, pendant ce temps-là, à Saint-Etienne, tandis que côté football rien ne résistait aux Verts d’Ivan Curkovic et Johnny Rep, si ce n’est ces putains de poteaux carrés !, Manufrance côté entreprise d’armes, chair à canon et occasionnellement de cycles, entamait un interminable déclin industriel que même un Bernard Tapie d’avant « Gym Tonic » ne parvint à enrailler, c’est tout dire. Manufrance, je revois le logo sur le maillot de Dominique Rocheteau qui, question frisouilles, bon ailier droit, n’avait rien à envier au chanteur évoqué supra.
De même en écoutant Desproges, comment voulez-vous qu’une collégienne cuvée 2000 et plus comprenne, à l’heure où elle roule ses premières galoches, que notre Limousin préféré s’en prend à Marguerite Duras (dont elles liront bientôt « L’amant »  avant d’en prendre un pour de vrai plus tard) en ses termes : « L’apologiste sénile des infanticides ruraux » ?
Pour comprendre celle-ci, il faut avoir suivi un quart de siècle de drame parfumé à l’eau de Vologne. Et se souvenir, alors que l’on cherche encore aujourd’hui qui a tué le petit Grégory en associant les cordelettes à des haines, que cette vieille folle crut bon d’accaparer la Une de Libération un matin de 1985 pour charger la mère sans preuve formelle et qualifier ce crime forcément odieux de « sublime, forcément sublime ».
Et que dire encore de « cette obsession de la ponctualité que je partageais avec le regretté ministre Robert Boulin qui disait toujours : je suis dans les temps, je suis dans les temps ! » Comment associer cette métaphore horlogère avec la troublante disparition de Robert Boulin, ministre giscardien du Travail, que l’on retrouva « assassino-suicidé » dans un étang proche de Rambouillet vers 1979 ? Comment je vous le demande !
Et je passe, au rang des explications saugrenues ou surannées, les CV de Georges Marchais ou Louis Leprince-Ringuet et pourquoi qu’il reprend deux fois des moules à la mort de Dalida le monsieur ?
Mais, en expliquant tout cela, je mesurai en mon for intérieur quelle chance fut la mienne de rire dans les années 80 avec deux pointures pareilles. Comparaison n’est pas raison dit le philosophe. Mais quelle misère de constater que nous en sommes réduits aujourd’hui à nous satisfaire des ringardises pour les masses version Laurent Gerra ou Franck Dubosc…

mercredi 15 septembre 2010

C'EST CA QUE JE DIS (SOUVENT LE JEUDI) : tome 5

L'HUMOUR SERAIT DE DROITE, MERDE ALORS !
Bertrand Blier ne filme pas que des conneries. Il en dit beaucoup aussi. Lundi, alors que je rentrais à la maison en voiture après une dure journée de labeur, tous phares éteints par simple omission, je suis tombé sur une émission radiophonique où ce malotru barbu affirmait avec une certitude aveuglée (pas par mes phares donc) : « J'ai tendance à penser que l'humour est à droite. Je pense que les gens de droite sont plus marrants ». J’ai d’abord pensé qu’avec un argumentaire aussi court et définitif, des orientations si mal à droite, on devrait être autorisé à la mettre en veilleuse. Sans fard.
Puis, pensant à ses mots qui se terminent au logis - (je me demande si une incartade pléonasmatique ne vient pas de s’immiscer malgré moi dans ce registre éclairé) - me grattant la zone occipitale à la recherche d’une lumière de passage, j’essaye de comprendre en sortant de mon véhicule par quels itinéraires de l’esprit on peut en arriver à ce jugement qui brave tous les codes. Même ceux de bonne conduite.
A-t-il son meilleur ami qui affiche sans honte ses penchants UMP et un goût immodéré pour l’Almanach Vermot et les blagues à deux balles ? Sont-ce les mauvaises entrées consécutives à sa dernière livraison cancéreuse Le bruit des glaçons qui lui font craindre de ne pas rentrer dans ses frais et de perdre les pédales ? Est-ce, que sais-je encore, son banquier forcément droitier qui lui a donné rendez-vous sous peu pour lui dire qu’il n’a plus un kopeck alors même qu’il pensait un jour s’asseoir sur un gros tas Blier ?
Ou alors, mais je n’ose pas y penser, il y aurait là une sorte de message subliminal nous indiquant que même son Bernard de père, irremplaçable Raoul des Tontons Flingueurs, celui qui dynamite, qui disperse, qui ventile était, derrière ses balivernes audiardesques, un satané réactionnaire. Et j’étais même parti assez loin dans mes promenades oniriques lorsque vinrent à moi Robert « Your room is ready sir ! » Dalban et Francis « C’est marrant chez les marins cette manie de faire des phrases » Blanche qui brandissaient des panneaux appelant à voter De Gaulle !
Ainsi donc, l’humour, le vrai, celui qui fait rire et laisse des traces, serait de droite. Alors que je connais tant d’hommes un peu gauche qui, sans être désopilants, sont plutôt d’assez bonne compagnie ? Dois-je en conclure que Raymond Queneau se serait trompé. Lui le maître des « Exercices de style » qui disait que « l’humour est une tentative pour décaper les grands sentiments de leur connerie » ? En disant cela, voyez-vous, je me fous présentement de savoir si Queneau était de droite !
J’en étais rendu à penser des choses de ce genre en me disant qu’il était peut-être un peu saoul Blier. Et que, dès lors, tout peut s’oublier…

mercredi 8 septembre 2010

C'est ça que je dis : tome 4

J'AIME REGARDER LES FIGUES

Oh les figues, oh les figues, elles me rendent marteau...

Oh les figues, oh les figues, moi je les aime trop...
Plus tendance que la reprise scolaire, plus surprenant que la rentrée littéraire, en septembre, c'est le temps des figues. Au bonheur d'un homme, moi ! Ah, les figues, "à mon Dieu que c'est bon, bon, bon" comme Fernandel le chantait pour la bouillabaisse. Alors que la fraise se retire doucettement, que le melon s'épuise sans pépins et que l'endive est encore un peu verte en cet été finissant où les tourtereaux n'en finissent pas de braiser - libre à vous d'enlever le premier "r" - la figue débarque discrètement sur nos étals maraîchers avec la délicatesse de ces fruitières qui ne se répandent pas par cageots entiers mais par simples barquettes.
J'aime les figues intellectuelles
J'aimes les figues qui me font marrer
J'aime les figues qui font vieille France
La figue, c'est le fruit parmi les fruits. C'est un peu comme les pistaches à l'apéritif, impossible de n'en croquer qu'une. J'ai une façon bien à moi de la déguster. Je l'attrape par la queue, mais je ne la montre pas à ces messieurs tout en me foutant bien de ce que ces messieurs me disent, la regarde par en-dessous et la croque goulûment au moins à moitié. Et c'est un bouquet de saveurs qui éclate en bouche. Je fais une pause, regarde ses belles couleurs où le vert se violace et ou le violet verdoie à moins que ce ne soit l'inverse. Puis, je l'achève en repoussant d'une main rageuse le tiers qui s'en prenait déjà à ma barquette.
J'aime regarder les figues. Les figues !
Les hanches qui balanchent
Leur poitrine gonflée
Le soleil sur leur peau
J'aime regarder les figues. Les figues !

Et me voilà, à deux pas de la rue de la Figairasse, à quatre enjambées du quartier Figuerolles, avec ma drôle de figue. J'ai terminé ma barquette à force de me dire "Allez juste encore une !". Sucré à souhait. Dans ma rue qui n'est baptisée que de Câpriers, j'ai planté sur mes terres un petit figuier qui ne mesure pas même la moitié d'un double-décimètre. Après chaque alerte orange, où il pleut à grands seaux, j'ai l'impression qu'il est devenu presque adulte. Un jour peut-être, mes petits-enfants grimperont dessus et me donneront à goûter une figue du jardin. Et peut-être deux. Ou trois. Mi figue, mi raison !

samedi 4 septembre 2010

C'est ça que je dis : tome 3

LA PADENADE DE TRUFFES D'EMILIE
C’est encore raté ! Décidément, je n’y arrive pas. De temps à autre, j’essaye de mener à bien, discrètement en cuisine, une padenade de truffes. Une padenade de truffes, c’est une bonne poêlée de pommes de terre. Ni plus, ni moins. Quand j’étais petit, et devenu adulte cela durait encore, ma grand-mère paternelle, établie à Saint-Rome-de-Cernon, ex cabanière de Roquefort, avait pour habitude de me régaler de la sorte. Avec une bonne assiettée de patates. Elle suivait souvent une entrée de salade mâche. Mashed potatoes ? C’est pas nouveau, Johnny a l’idée, dès les années 60, de célébrer ce cousin dansant du charleston.
Mais la padenade de truffes, c’est autrement plus sérieux. D’abord, il faut une bonne qualité de pommes de terre. Nous parlons de la bintje, celle des frites belges.
Elle n’étaient peut-être pas estampillées Parmentier mais ne terminaient jamais en hachis.(Savez-vous seulement que le découvreur du tubercule se prénommait en fait Henri Irénée et que le hachis est la résultante de ses initiales ? Ce n’est pas vrai, pauvre patate, il s’appelait Antoine-Augustin !)
Ensuite, il fallait mettre une certaine quantité d’huile sans que les commensaux s’en rendent vraiment compte. Ils auraient maugréé sinon. Il fallait aussi une poêle de qualité. C’est-à-dire avec un fond un peu gras, qui accroche raisonnablement. Et puis surtout un sacré coup de main, une attention de tous les instants et une pincée de réussite.
C’est que la grand-mère, hélas disparue il y a moins d’un lustre, n’était pas du genre à décrocher le téléphone s’il venait à sonner pendant l’élaboration du plat. Parce que si la padenade de truffes paraît simple à réaliser, c’est tout un art en réalité. Car les patates doivent être rabinées juste ce qu’il faut. Rabinées mais pas noircies. Rabinées ? Dorées si vous préférez. Mais un doré craquant dans la bouche. Fondant même.
Mamie Emilie n’est plus là. Depuis son départ, j’ai fait une bonne douzaine de tentatives. J’ai souvent mangé des patates sans saveur, cramées parfois, flasques, jaunâtres aussi. Mais, hélas, jamais dûment rabinées. J’ai tout tenté pourtant. Consciencieusement. Allant même jusqu’à récupérer la fameuse poêle, sans être complètement certain que ce fût la bonne…
Pourquoi dire tout cela ? Parce qu’on ne passe jamais trop de temps avec ses grands-parents. C’est quand ils sont partis que l’on s’en rend compte. Ils ont emporté leur secret pour les coins à champignons et les trucs pour les reconnaître sans risquer l’indigestion, les bons conseils pour réussir une confiture de groseille pas trop liquide et la technique pour faire des paniers magnifiques avec du bois de mûrier. Bien incapable de faire un panier maraîchère de mes mains, je ne suis pas certain de reconnaître un mûrier dans une forêt familière.
La padenade de truffes, c’était un peu la cuisine paléolithique de Delteil déclinée en sagesse aveyronnaise. Aujourd’hui, au temps du 5 minutes au micro-ondes et du repas trop souvent vite expédié, la reine de la padenade de truffes me jette un regard noir d’en haut en me regardant « de mauvais poêle » et est bien convaincue que la patate, c’est moi !

jeudi 2 septembre 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est chaque jeudi !) tome 2

DES WOERTH ET DES PAS MURES

Ainsi donc M. Éric Woerth, vous seriez victime « d’une lapidation médiatique ». Rien que ça ! « C’est un peu une chasse à l’homme comme il existe des chasses à courre, poursuivez-vous sans fard et la métaphore en bandoulière. Sauf que c’est moi qui joue le rôle du cerf ». J’imagine assez bien des journalistes en rut, calepin dans une main, appareil-photo dans l’autre, suivre votre trace avec des chiens renifleurs dans des sous-bois épais où votre femme et vous-même vivriez réfugiés pour échapper à la meute du scoop et au qu’en-dira-t-on de la finance. En quelque sorte, les plumitifs seraient comme « des bêtes en courre », voilà qui vous rapproche encore de cette brave Liliane !


Sauf que rien ne « cerf » de courir quand il y a autant de sangsues à vos trousses. La presse qui a certes quelques torts mais surtout le mérite d’exister ne s’acharne pas. Elle fouille, trouve, vérifie et révèle. Et une révélation en cache souvent une autre vous concernant de près M. le ministre du Travail. Qui plus est, quand ce n’est pas vous, c’est madame…

Oh, je ne juge rien, qui suis-je pour cela ? De plus aguerris, fins limiers autorisés y viendront vite. Mais je m’arrête par contre sur vos mots. Leur sens. Ce qu’ils nous renvoient à la gueule. Vous disiez donc lundi dans les colonnes d’un quotidien national : « Je subis depuis deux-trois mois une sorte de lapidation médiatique assez impressionnante. Tout cet acharnement, c’est fait pour tuer. »

Lapidation médiatique. Cette tournure aussi est faite pour tuer. Ou, à tout le moins, tenter d’annihiler toute contestation à venir. Essayer a minima de la renvoyer dans le lointain quand on a très chaud aux fesses. Mais cette formule est lamentable. Parce qu’elle s’inscrit dans une collusion d’actualité destinée à accentuer votre posture victimaire.

La lapidation, ce n’est pas un mot anodin. C’est la seule forme de torture qui a encore cours - même si on la chasse - au XXIe siècle. C’est un châtiment corporel moyenâgeux qui est exécuté à coups de pierres tranchantes en place publique et qui est d’une violence inouïe dans les pays islamiques où il est encore pratiqué.

Or le terme de lapidation, peu usité dans les journaux occidentaux vous en conviendrez, avait été employé la veille de votre interview. Presque unilatéralement. Pour une occurrence nettement plus préoccupante que le cas du soldat Woerth. Il s’agissait d’alerter l’opinion publique internationale sur le funeste destin promis par les autorités de son pays à Sakineh Ashtiani, une Iranienne de 43 ans, condamnée à mort par lapidation pour adultère. Comme si une incartade sexuelle méritait une issue aussi extrémiste...

Et vous, Éric Woerth, n’avait rien trouvé de plus malin que de faire le facétieux sémantique, l’innocent aux mains pleines, le tourmenté médiatique, de se glisser dans la peau de celui que l’on voue aux gémonies, qu’on livre en pâture. Comme s’il y avait du Sakineh Ashtiani dans cet Éric Woerth outragé qui n’a jamais rien fait - ou si peu - pour séparer ses serviettes ministérielles des fourchettes en or de L’Oréal. Et qui, en retour, n’a essuyé finalement que des formules… lapidaires.

Hier encore, nous apprenions cher ancien trésorier de l’UMP que vous êtes que votre successeur à ce poste a lui aussi œuvré chez L’Oréal ! C’est incroyable cette passion commune pour le maquillage… des convenances dans ce parti présidentiel.

Vous foutant peu ou prou du sort de Sakineh Ashtiani comme de votre première chemise bien repassée, vous ne vous embarrassez pas, lorsque l’aubaine se présente, de vous abriter derrière son exposition médiatique pour en tirer le meilleur profit lacrymal. Mais cela ne trompe personne. Tandis que tous ceux qui à la chasse accourent espèrent l’hallali, notre ministre du Budget encaisse toujours les coups et essaye de rester droit dans ses certitudes et ses contradictions. C’est que la place est bonne. Alors, honteusement, vous faites contre mauvaise fortune… bunker.

mercredi 25 août 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est chaque jeudi). Tome 1

TONIO A ETE BALANCE
Vous ne connaissiez pas Tonio ? Il ne passait pourtant pas inaperçu.
Dans cette grande surface périphérique, dont je tais le nom par solidarité avec les producteurs de lait en colère, il était la pièce centrale du rayon fruits et légumes. Il portait la blouse, souvent verte, et n’avait pas son pareil dans le maniement des cucurbitacées qu’il soupesait avec la même assurance que la ménagère qui renifle le melon melgorien, en le tenant par la queue, persuadée qu’elle est que c’est très éclairant pour sa saveur intrinsèque. Personnellement, je me méfie mais bon…
Le petit plus qui distinguait Tonio des autres agents de son rayonnage, c’était la chansonnette. Oh, il n’avait rien d’un rossignol milanais ! Il chantait même assez faux. Mais, tel un philatéliste qu’il ne devait pas être, il avait disons un joli timbre. C’est en fait le non respect des paroles originales qui agressait quelque peu l’oreille du quidam. Qu’importe. C’était plutôt sympathique d’aller peser des tomates et des poires et d’essuyer en retour - il faut dire qu’il avait la projection facile le bougre ! - du Bobby Solo genre « Une lacrima sul viso ».
Une fois, je vis même une dame, pour qui la chanson évoquait à n'en pas douter des souvenirs émus ou des galipettes dans les prés – ou les deux allez savoir ! – en perdre ses moyens et son sac en plastique débordant de courgettes.
Ni une, ni deux, conscient de la perturbation de cette cliente et fan (de carottes), Tonio l’aida à ramasser ses légumineuses. Mais, tout en se relevant péniblement, avec elle à son bras, il se remit à chanter. L'effet est radical (de gauche). Une autre, que notre Italien avait déjà à sa botte, en profita pour s’emparer du poste devant la balance avec ses radis en espérant, qui sait, un rappel, de la part de Tonio. Elle était pendue à ses lèvres. Notre Alagna à prix discount fit mine d’en fredonner une autre… avant de s’interrompre brutalement et de lui faire remarquer que les radis, cela ne se pèse pas ! C’est qu’on ne la lui faisait pas comme ça à Tonio, habitué à peser le pour, le contre et les régimes de bananes.
Voici quelques jours, tenant dans une main des figues de saison et dans l’autre que sais-je, je cherchais du regard mon Tonio craignant de croiser les pupilles d’un stagiaire tout aussi saisonnier que mes fruits hebdomadaires. Surprise et déception mêlées ! On avait remplacé Tonio par une balance électronique dernier cri. Une machinerie d'une ingéniosité redoutable puisque lorsque vous posez des courgettes dessus, elle affiche quatre possibilités de verdure entre salade, courgettes, concombres et épinards. Bref, elle sait que t'as besoin d'un truc vert mais elle se demande bien ce que c'est... Avec Roselyne, une ménagère rigolote aussi peu épris de technologie que votre serviteur, nous fîmes ensuite le test avec des bananes. Et voici que notre balance (ascendant s'agit de se taire) hésitait maintenant avec des pommes Golden. Eh bien, avec Tonio c'eût été réglé en trois secondes alors que là, on sait même plus qui Caddie quoi !
Tonio a donc disparu. Renseignement pris, il serait maintenant à la gestion des stocks où il travaille... quand ça lui chante. Encore une fois, on a sacrifié un emploi (chantant en plus) au profit d'une caisse en fer alambiquée et bourrée d'électronique. C'est pour cette raison que, sur l'autoroute des vacances, tel un ascète même si c’est l’A9, il ne faut jamais passer à une cabine de péage déshumanisée au motif que cela va un poil plus vite. En plus, si ça se trouve, l'hôtesse est canon. Pour ces raisons, et un peu en pensant à Tonio et aux emplois qui valsent avec sa majesté profit, le 7 on ira faire un tour dans la rue. Pour ne pas battre en retraite. Parce que c'est trop facile de dire qu'on s'en balance...
Jéjé