mercredi 25 août 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est chaque jeudi). Tome 1

TONIO A ETE BALANCE
Vous ne connaissiez pas Tonio ? Il ne passait pourtant pas inaperçu.
Dans cette grande surface périphérique, dont je tais le nom par solidarité avec les producteurs de lait en colère, il était la pièce centrale du rayon fruits et légumes. Il portait la blouse, souvent verte, et n’avait pas son pareil dans le maniement des cucurbitacées qu’il soupesait avec la même assurance que la ménagère qui renifle le melon melgorien, en le tenant par la queue, persuadée qu’elle est que c’est très éclairant pour sa saveur intrinsèque. Personnellement, je me méfie mais bon…
Le petit plus qui distinguait Tonio des autres agents de son rayonnage, c’était la chansonnette. Oh, il n’avait rien d’un rossignol milanais ! Il chantait même assez faux. Mais, tel un philatéliste qu’il ne devait pas être, il avait disons un joli timbre. C’est en fait le non respect des paroles originales qui agressait quelque peu l’oreille du quidam. Qu’importe. C’était plutôt sympathique d’aller peser des tomates et des poires et d’essuyer en retour - il faut dire qu’il avait la projection facile le bougre ! - du Bobby Solo genre « Une lacrima sul viso ».
Une fois, je vis même une dame, pour qui la chanson évoquait à n'en pas douter des souvenirs émus ou des galipettes dans les prés – ou les deux allez savoir ! – en perdre ses moyens et son sac en plastique débordant de courgettes.
Ni une, ni deux, conscient de la perturbation de cette cliente et fan (de carottes), Tonio l’aida à ramasser ses légumineuses. Mais, tout en se relevant péniblement, avec elle à son bras, il se remit à chanter. L'effet est radical (de gauche). Une autre, que notre Italien avait déjà à sa botte, en profita pour s’emparer du poste devant la balance avec ses radis en espérant, qui sait, un rappel, de la part de Tonio. Elle était pendue à ses lèvres. Notre Alagna à prix discount fit mine d’en fredonner une autre… avant de s’interrompre brutalement et de lui faire remarquer que les radis, cela ne se pèse pas ! C’est qu’on ne la lui faisait pas comme ça à Tonio, habitué à peser le pour, le contre et les régimes de bananes.
Voici quelques jours, tenant dans une main des figues de saison et dans l’autre que sais-je, je cherchais du regard mon Tonio craignant de croiser les pupilles d’un stagiaire tout aussi saisonnier que mes fruits hebdomadaires. Surprise et déception mêlées ! On avait remplacé Tonio par une balance électronique dernier cri. Une machinerie d'une ingéniosité redoutable puisque lorsque vous posez des courgettes dessus, elle affiche quatre possibilités de verdure entre salade, courgettes, concombres et épinards. Bref, elle sait que t'as besoin d'un truc vert mais elle se demande bien ce que c'est... Avec Roselyne, une ménagère rigolote aussi peu épris de technologie que votre serviteur, nous fîmes ensuite le test avec des bananes. Et voici que notre balance (ascendant s'agit de se taire) hésitait maintenant avec des pommes Golden. Eh bien, avec Tonio c'eût été réglé en trois secondes alors que là, on sait même plus qui Caddie quoi !
Tonio a donc disparu. Renseignement pris, il serait maintenant à la gestion des stocks où il travaille... quand ça lui chante. Encore une fois, on a sacrifié un emploi (chantant en plus) au profit d'une caisse en fer alambiquée et bourrée d'électronique. C'est pour cette raison que, sur l'autoroute des vacances, tel un ascète même si c’est l’A9, il ne faut jamais passer à une cabine de péage déshumanisée au motif que cela va un poil plus vite. En plus, si ça se trouve, l'hôtesse est canon. Pour ces raisons, et un peu en pensant à Tonio et aux emplois qui valsent avec sa majesté profit, le 7 on ira faire un tour dans la rue. Pour ne pas battre en retraite. Parce que c'est trop facile de dire qu'on s'en balance...
Jéjé