mardi 21 septembre 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est chaque jeudi !) : tome 5

COLUCHE, DESPROGES ET MON FILS AINE
Hippolyte écoute avec une régularité qui lui sied bien au teint les sketchs de Coluche et Pierre Desproges dans sa chambre. Heureux jeune homme… De temps à autre, j’entends le fils aîné se bidonner d’une plaisanterie fine et cela me plaît bien. D’abord parce que je crois rajeunir - alors même que les poils blancs qui composent ma barbe ne trompent hélas pas - et puis parce que bon sang ne saurait mentir… Voilà qui nous change de Grand Corps Malade, autre habitué de sa chaîne hifi, qui n’en finit pas de traîner sa misère sentimentalo-banlieusarde au point qu’on se demande si cet homme rigole parfois.
Mais, il ne suffit pas de livrer les CD de nos vibrants humoristes eighties en pâture. Ce serait trop facile. On doit aussi encadrer l’éducation rieuse des zygomatiques. Car, pour bien saisir la finesse de leurs esprits aiguisés, il est impératif de se replacer dans le contexte de l’époque.
Tiens, par exemple, je passais dans le couloir l’autre soir et j’entendais la voix de Michel Colucci reconnaissable parmi mille (Mimille, l’oncle Emile, n’a rien à voir là-dedans merci) s’égosiller de la sorte : « Ne m’appelez plus Manufraaaaannncccceee, la France elle m’a laissé tomber… »
Comment voulez-vous qu’un collégien des années 2010 puisse comprendre sans aide les œillades à l’actualité période Roger Gicquel ? Et me voilà expliquant la fierté maritimo-De Gaulienne qui prévalait alors. Où l’on fredonnait « Il était un (gros) navire qui n’avait ja ja jamais fatigué » jusqu’à ce que nous le cédâmes - mais les hommes n’y étaient pas pour rien - aux Nordiques pour qu’ils haussent l’eau. Le France devint Norway et prit la mer sous les yeux embués de pans entiers de nostalgiques inconsolables dont le séjour merveilleux en studio cabine engloutissait pourtant une année pleine de congés payés. Mais, bon, tant que la croisière s’amusait ! Et il fallut de fait tout le talent d’un Michel Sardou, au sommet de sa carrière de chanteur de droite, poussant le patriotisme jusque dans ses frisettes et son perfecto d’interprète de bal, pour défendre l’honneur de la « mer » patrie. Alors que si ça se trouve, il a pas le pied marin.
Et, pendant ce temps-là, à Saint-Etienne, tandis que côté football rien ne résistait aux Verts d’Ivan Curkovic et Johnny Rep, si ce n’est ces putains de poteaux carrés !, Manufrance côté entreprise d’armes, chair à canon et occasionnellement de cycles, entamait un interminable déclin industriel que même un Bernard Tapie d’avant « Gym Tonic » ne parvint à enrailler, c’est tout dire. Manufrance, je revois le logo sur le maillot de Dominique Rocheteau qui, question frisouilles, bon ailier droit, n’avait rien à envier au chanteur évoqué supra.
De même en écoutant Desproges, comment voulez-vous qu’une collégienne cuvée 2000 et plus comprenne, à l’heure où elle roule ses premières galoches, que notre Limousin préféré s’en prend à Marguerite Duras (dont elles liront bientôt « L’amant »  avant d’en prendre un pour de vrai plus tard) en ses termes : « L’apologiste sénile des infanticides ruraux » ?
Pour comprendre celle-ci, il faut avoir suivi un quart de siècle de drame parfumé à l’eau de Vologne. Et se souvenir, alors que l’on cherche encore aujourd’hui qui a tué le petit Grégory en associant les cordelettes à des haines, que cette vieille folle crut bon d’accaparer la Une de Libération un matin de 1985 pour charger la mère sans preuve formelle et qualifier ce crime forcément odieux de « sublime, forcément sublime ».
Et que dire encore de « cette obsession de la ponctualité que je partageais avec le regretté ministre Robert Boulin qui disait toujours : je suis dans les temps, je suis dans les temps ! » Comment associer cette métaphore horlogère avec la troublante disparition de Robert Boulin, ministre giscardien du Travail, que l’on retrouva « assassino-suicidé » dans un étang proche de Rambouillet vers 1979 ? Comment je vous le demande !
Et je passe, au rang des explications saugrenues ou surannées, les CV de Georges Marchais ou Louis Leprince-Ringuet et pourquoi qu’il reprend deux fois des moules à la mort de Dalida le monsieur ?
Mais, en expliquant tout cela, je mesurai en mon for intérieur quelle chance fut la mienne de rire dans les années 80 avec deux pointures pareilles. Comparaison n’est pas raison dit le philosophe. Mais quelle misère de constater que nous en sommes réduits aujourd’hui à nous satisfaire des ringardises pour les masses version Laurent Gerra ou Franck Dubosc…

mercredi 15 septembre 2010

C'EST CA QUE JE DIS (SOUVENT LE JEUDI) : tome 5

L'HUMOUR SERAIT DE DROITE, MERDE ALORS !
Bertrand Blier ne filme pas que des conneries. Il en dit beaucoup aussi. Lundi, alors que je rentrais à la maison en voiture après une dure journée de labeur, tous phares éteints par simple omission, je suis tombé sur une émission radiophonique où ce malotru barbu affirmait avec une certitude aveuglée (pas par mes phares donc) : « J'ai tendance à penser que l'humour est à droite. Je pense que les gens de droite sont plus marrants ». J’ai d’abord pensé qu’avec un argumentaire aussi court et définitif, des orientations si mal à droite, on devrait être autorisé à la mettre en veilleuse. Sans fard.
Puis, pensant à ses mots qui se terminent au logis - (je me demande si une incartade pléonasmatique ne vient pas de s’immiscer malgré moi dans ce registre éclairé) - me grattant la zone occipitale à la recherche d’une lumière de passage, j’essaye de comprendre en sortant de mon véhicule par quels itinéraires de l’esprit on peut en arriver à ce jugement qui brave tous les codes. Même ceux de bonne conduite.
A-t-il son meilleur ami qui affiche sans honte ses penchants UMP et un goût immodéré pour l’Almanach Vermot et les blagues à deux balles ? Sont-ce les mauvaises entrées consécutives à sa dernière livraison cancéreuse Le bruit des glaçons qui lui font craindre de ne pas rentrer dans ses frais et de perdre les pédales ? Est-ce, que sais-je encore, son banquier forcément droitier qui lui a donné rendez-vous sous peu pour lui dire qu’il n’a plus un kopeck alors même qu’il pensait un jour s’asseoir sur un gros tas Blier ?
Ou alors, mais je n’ose pas y penser, il y aurait là une sorte de message subliminal nous indiquant que même son Bernard de père, irremplaçable Raoul des Tontons Flingueurs, celui qui dynamite, qui disperse, qui ventile était, derrière ses balivernes audiardesques, un satané réactionnaire. Et j’étais même parti assez loin dans mes promenades oniriques lorsque vinrent à moi Robert « Your room is ready sir ! » Dalban et Francis « C’est marrant chez les marins cette manie de faire des phrases » Blanche qui brandissaient des panneaux appelant à voter De Gaulle !
Ainsi donc, l’humour, le vrai, celui qui fait rire et laisse des traces, serait de droite. Alors que je connais tant d’hommes un peu gauche qui, sans être désopilants, sont plutôt d’assez bonne compagnie ? Dois-je en conclure que Raymond Queneau se serait trompé. Lui le maître des « Exercices de style » qui disait que « l’humour est une tentative pour décaper les grands sentiments de leur connerie » ? En disant cela, voyez-vous, je me fous présentement de savoir si Queneau était de droite !
J’en étais rendu à penser des choses de ce genre en me disant qu’il était peut-être un peu saoul Blier. Et que, dès lors, tout peut s’oublier…

mercredi 8 septembre 2010

C'est ça que je dis : tome 4

J'AIME REGARDER LES FIGUES

Oh les figues, oh les figues, elles me rendent marteau...

Oh les figues, oh les figues, moi je les aime trop...
Plus tendance que la reprise scolaire, plus surprenant que la rentrée littéraire, en septembre, c'est le temps des figues. Au bonheur d'un homme, moi ! Ah, les figues, "à mon Dieu que c'est bon, bon, bon" comme Fernandel le chantait pour la bouillabaisse. Alors que la fraise se retire doucettement, que le melon s'épuise sans pépins et que l'endive est encore un peu verte en cet été finissant où les tourtereaux n'en finissent pas de braiser - libre à vous d'enlever le premier "r" - la figue débarque discrètement sur nos étals maraîchers avec la délicatesse de ces fruitières qui ne se répandent pas par cageots entiers mais par simples barquettes.
J'aime les figues intellectuelles
J'aimes les figues qui me font marrer
J'aime les figues qui font vieille France
La figue, c'est le fruit parmi les fruits. C'est un peu comme les pistaches à l'apéritif, impossible de n'en croquer qu'une. J'ai une façon bien à moi de la déguster. Je l'attrape par la queue, mais je ne la montre pas à ces messieurs tout en me foutant bien de ce que ces messieurs me disent, la regarde par en-dessous et la croque goulûment au moins à moitié. Et c'est un bouquet de saveurs qui éclate en bouche. Je fais une pause, regarde ses belles couleurs où le vert se violace et ou le violet verdoie à moins que ce ne soit l'inverse. Puis, je l'achève en repoussant d'une main rageuse le tiers qui s'en prenait déjà à ma barquette.
J'aime regarder les figues. Les figues !
Les hanches qui balanchent
Leur poitrine gonflée
Le soleil sur leur peau
J'aime regarder les figues. Les figues !

Et me voilà, à deux pas de la rue de la Figairasse, à quatre enjambées du quartier Figuerolles, avec ma drôle de figue. J'ai terminé ma barquette à force de me dire "Allez juste encore une !". Sucré à souhait. Dans ma rue qui n'est baptisée que de Câpriers, j'ai planté sur mes terres un petit figuier qui ne mesure pas même la moitié d'un double-décimètre. Après chaque alerte orange, où il pleut à grands seaux, j'ai l'impression qu'il est devenu presque adulte. Un jour peut-être, mes petits-enfants grimperont dessus et me donneront à goûter une figue du jardin. Et peut-être deux. Ou trois. Mi figue, mi raison !

samedi 4 septembre 2010

C'est ça que je dis : tome 3

LA PADENADE DE TRUFFES D'EMILIE
C’est encore raté ! Décidément, je n’y arrive pas. De temps à autre, j’essaye de mener à bien, discrètement en cuisine, une padenade de truffes. Une padenade de truffes, c’est une bonne poêlée de pommes de terre. Ni plus, ni moins. Quand j’étais petit, et devenu adulte cela durait encore, ma grand-mère paternelle, établie à Saint-Rome-de-Cernon, ex cabanière de Roquefort, avait pour habitude de me régaler de la sorte. Avec une bonne assiettée de patates. Elle suivait souvent une entrée de salade mâche. Mashed potatoes ? C’est pas nouveau, Johnny a l’idée, dès les années 60, de célébrer ce cousin dansant du charleston.
Mais la padenade de truffes, c’est autrement plus sérieux. D’abord, il faut une bonne qualité de pommes de terre. Nous parlons de la bintje, celle des frites belges.
Elle n’étaient peut-être pas estampillées Parmentier mais ne terminaient jamais en hachis.(Savez-vous seulement que le découvreur du tubercule se prénommait en fait Henri Irénée et que le hachis est la résultante de ses initiales ? Ce n’est pas vrai, pauvre patate, il s’appelait Antoine-Augustin !)
Ensuite, il fallait mettre une certaine quantité d’huile sans que les commensaux s’en rendent vraiment compte. Ils auraient maugréé sinon. Il fallait aussi une poêle de qualité. C’est-à-dire avec un fond un peu gras, qui accroche raisonnablement. Et puis surtout un sacré coup de main, une attention de tous les instants et une pincée de réussite.
C’est que la grand-mère, hélas disparue il y a moins d’un lustre, n’était pas du genre à décrocher le téléphone s’il venait à sonner pendant l’élaboration du plat. Parce que si la padenade de truffes paraît simple à réaliser, c’est tout un art en réalité. Car les patates doivent être rabinées juste ce qu’il faut. Rabinées mais pas noircies. Rabinées ? Dorées si vous préférez. Mais un doré craquant dans la bouche. Fondant même.
Mamie Emilie n’est plus là. Depuis son départ, j’ai fait une bonne douzaine de tentatives. J’ai souvent mangé des patates sans saveur, cramées parfois, flasques, jaunâtres aussi. Mais, hélas, jamais dûment rabinées. J’ai tout tenté pourtant. Consciencieusement. Allant même jusqu’à récupérer la fameuse poêle, sans être complètement certain que ce fût la bonne…
Pourquoi dire tout cela ? Parce qu’on ne passe jamais trop de temps avec ses grands-parents. C’est quand ils sont partis que l’on s’en rend compte. Ils ont emporté leur secret pour les coins à champignons et les trucs pour les reconnaître sans risquer l’indigestion, les bons conseils pour réussir une confiture de groseille pas trop liquide et la technique pour faire des paniers magnifiques avec du bois de mûrier. Bien incapable de faire un panier maraîchère de mes mains, je ne suis pas certain de reconnaître un mûrier dans une forêt familière.
La padenade de truffes, c’était un peu la cuisine paléolithique de Delteil déclinée en sagesse aveyronnaise. Aujourd’hui, au temps du 5 minutes au micro-ondes et du repas trop souvent vite expédié, la reine de la padenade de truffes me jette un regard noir d’en haut en me regardant « de mauvais poêle » et est bien convaincue que la patate, c’est moi !

jeudi 2 septembre 2010

C'est ça que je dis (parce que c'est chaque jeudi !) tome 2

DES WOERTH ET DES PAS MURES

Ainsi donc M. Éric Woerth, vous seriez victime « d’une lapidation médiatique ». Rien que ça ! « C’est un peu une chasse à l’homme comme il existe des chasses à courre, poursuivez-vous sans fard et la métaphore en bandoulière. Sauf que c’est moi qui joue le rôle du cerf ». J’imagine assez bien des journalistes en rut, calepin dans une main, appareil-photo dans l’autre, suivre votre trace avec des chiens renifleurs dans des sous-bois épais où votre femme et vous-même vivriez réfugiés pour échapper à la meute du scoop et au qu’en-dira-t-on de la finance. En quelque sorte, les plumitifs seraient comme « des bêtes en courre », voilà qui vous rapproche encore de cette brave Liliane !


Sauf que rien ne « cerf » de courir quand il y a autant de sangsues à vos trousses. La presse qui a certes quelques torts mais surtout le mérite d’exister ne s’acharne pas. Elle fouille, trouve, vérifie et révèle. Et une révélation en cache souvent une autre vous concernant de près M. le ministre du Travail. Qui plus est, quand ce n’est pas vous, c’est madame…

Oh, je ne juge rien, qui suis-je pour cela ? De plus aguerris, fins limiers autorisés y viendront vite. Mais je m’arrête par contre sur vos mots. Leur sens. Ce qu’ils nous renvoient à la gueule. Vous disiez donc lundi dans les colonnes d’un quotidien national : « Je subis depuis deux-trois mois une sorte de lapidation médiatique assez impressionnante. Tout cet acharnement, c’est fait pour tuer. »

Lapidation médiatique. Cette tournure aussi est faite pour tuer. Ou, à tout le moins, tenter d’annihiler toute contestation à venir. Essayer a minima de la renvoyer dans le lointain quand on a très chaud aux fesses. Mais cette formule est lamentable. Parce qu’elle s’inscrit dans une collusion d’actualité destinée à accentuer votre posture victimaire.

La lapidation, ce n’est pas un mot anodin. C’est la seule forme de torture qui a encore cours - même si on la chasse - au XXIe siècle. C’est un châtiment corporel moyenâgeux qui est exécuté à coups de pierres tranchantes en place publique et qui est d’une violence inouïe dans les pays islamiques où il est encore pratiqué.

Or le terme de lapidation, peu usité dans les journaux occidentaux vous en conviendrez, avait été employé la veille de votre interview. Presque unilatéralement. Pour une occurrence nettement plus préoccupante que le cas du soldat Woerth. Il s’agissait d’alerter l’opinion publique internationale sur le funeste destin promis par les autorités de son pays à Sakineh Ashtiani, une Iranienne de 43 ans, condamnée à mort par lapidation pour adultère. Comme si une incartade sexuelle méritait une issue aussi extrémiste...

Et vous, Éric Woerth, n’avait rien trouvé de plus malin que de faire le facétieux sémantique, l’innocent aux mains pleines, le tourmenté médiatique, de se glisser dans la peau de celui que l’on voue aux gémonies, qu’on livre en pâture. Comme s’il y avait du Sakineh Ashtiani dans cet Éric Woerth outragé qui n’a jamais rien fait - ou si peu - pour séparer ses serviettes ministérielles des fourchettes en or de L’Oréal. Et qui, en retour, n’a essuyé finalement que des formules… lapidaires.

Hier encore, nous apprenions cher ancien trésorier de l’UMP que vous êtes que votre successeur à ce poste a lui aussi œuvré chez L’Oréal ! C’est incroyable cette passion commune pour le maquillage… des convenances dans ce parti présidentiel.

Vous foutant peu ou prou du sort de Sakineh Ashtiani comme de votre première chemise bien repassée, vous ne vous embarrassez pas, lorsque l’aubaine se présente, de vous abriter derrière son exposition médiatique pour en tirer le meilleur profit lacrymal. Mais cela ne trompe personne. Tandis que tous ceux qui à la chasse accourent espèrent l’hallali, notre ministre du Budget encaisse toujours les coups et essaye de rester droit dans ses certitudes et ses contradictions. C’est que la place est bonne. Alors, honteusement, vous faites contre mauvaise fortune… bunker.