samedi 4 septembre 2010

C'est ça que je dis : tome 3

LA PADENADE DE TRUFFES D'EMILIE
C’est encore raté ! Décidément, je n’y arrive pas. De temps à autre, j’essaye de mener à bien, discrètement en cuisine, une padenade de truffes. Une padenade de truffes, c’est une bonne poêlée de pommes de terre. Ni plus, ni moins. Quand j’étais petit, et devenu adulte cela durait encore, ma grand-mère paternelle, établie à Saint-Rome-de-Cernon, ex cabanière de Roquefort, avait pour habitude de me régaler de la sorte. Avec une bonne assiettée de patates. Elle suivait souvent une entrée de salade mâche. Mashed potatoes ? C’est pas nouveau, Johnny a l’idée, dès les années 60, de célébrer ce cousin dansant du charleston.
Mais la padenade de truffes, c’est autrement plus sérieux. D’abord, il faut une bonne qualité de pommes de terre. Nous parlons de la bintje, celle des frites belges.
Elle n’étaient peut-être pas estampillées Parmentier mais ne terminaient jamais en hachis.(Savez-vous seulement que le découvreur du tubercule se prénommait en fait Henri Irénée et que le hachis est la résultante de ses initiales ? Ce n’est pas vrai, pauvre patate, il s’appelait Antoine-Augustin !)
Ensuite, il fallait mettre une certaine quantité d’huile sans que les commensaux s’en rendent vraiment compte. Ils auraient maugréé sinon. Il fallait aussi une poêle de qualité. C’est-à-dire avec un fond un peu gras, qui accroche raisonnablement. Et puis surtout un sacré coup de main, une attention de tous les instants et une pincée de réussite.
C’est que la grand-mère, hélas disparue il y a moins d’un lustre, n’était pas du genre à décrocher le téléphone s’il venait à sonner pendant l’élaboration du plat. Parce que si la padenade de truffes paraît simple à réaliser, c’est tout un art en réalité. Car les patates doivent être rabinées juste ce qu’il faut. Rabinées mais pas noircies. Rabinées ? Dorées si vous préférez. Mais un doré craquant dans la bouche. Fondant même.
Mamie Emilie n’est plus là. Depuis son départ, j’ai fait une bonne douzaine de tentatives. J’ai souvent mangé des patates sans saveur, cramées parfois, flasques, jaunâtres aussi. Mais, hélas, jamais dûment rabinées. J’ai tout tenté pourtant. Consciencieusement. Allant même jusqu’à récupérer la fameuse poêle, sans être complètement certain que ce fût la bonne…
Pourquoi dire tout cela ? Parce qu’on ne passe jamais trop de temps avec ses grands-parents. C’est quand ils sont partis que l’on s’en rend compte. Ils ont emporté leur secret pour les coins à champignons et les trucs pour les reconnaître sans risquer l’indigestion, les bons conseils pour réussir une confiture de groseille pas trop liquide et la technique pour faire des paniers magnifiques avec du bois de mûrier. Bien incapable de faire un panier maraîchère de mes mains, je ne suis pas certain de reconnaître un mûrier dans une forêt familière.
La padenade de truffes, c’était un peu la cuisine paléolithique de Delteil déclinée en sagesse aveyronnaise. Aujourd’hui, au temps du 5 minutes au micro-ondes et du repas trop souvent vite expédié, la reine de la padenade de truffes me jette un regard noir d’en haut en me regardant « de mauvais poêle » et est bien convaincue que la patate, c’est moi !

3 commentaires:

  1. Je cite : "Pourquoi dire tout cela ? Parce qu’on ne passe jamais trop de temps avec ses grands-parents. C’est quand ils sont partis que l’on s’en rend compte..."
    Comment une simple patate peut faire parler le coeur. Y'a pas à dire, la bouffe, y'a que ça de vrai.

    RépondreSupprimer
  2. la patate de jéjé , une version inédite de la madeleine de Proust...

    RépondreSupprimer
  3. un seul mot,un seul...
    A poêle,Jérôme,A poêle!!!!

    RépondreSupprimer