vendredi 21 janvier 2011

Je suis obligée d'aller manger à Coluche

C’est une phrase que j’ai vu passer au milieu des courriers des administrés. Il était question d’une dame, abandonnée par son mari, qui subsiste tant bien que mal avec les trois enfants du couple et pour qui le 25 du mois démarre bien souvent dès le 5.
Elle expliquait les difficultés qui étaient les siennes avec force détails qui rendaient la lecture gênante. Puis, elle terminait sa missive par cette phrase inédite mais aussi touchante : « Je n’ai presque plus rien, je suis obligée d’aller manger à Coluche ».
D’ici un gros trimestre, cela fera mine de rien un quart de siècle que le fondateur des Restos du Cœur nous a quitté sur une départementale des Alpes-Maritimes, dans un virage mal foutu entre Opio et Valbonne, où l’infortune estivale avait décidé de placer sur la route de son deux-roues un semi-remorque inexplicablement scotché en travers de la chaussée. Putain de camion. On ne va pas refaire l’histoire. Ni la chanson. Je connais cet endroit par cœur (j’ai brièvement habité Valbonne), j’ai joué au petit enquêteur en herbe en calculant s’il avait vraiment eu le temps de freiner, j’ai même fleuri la stèle du temps où il y avait encore une statue de pierre du frisotté en salopette. Elle a été volée depuis.
S’il revenait aujourd’hui, Coluche serait profondément écœuré de voir que ses Restos qui n’étaient pas appelés à durer ne servent plus 8,5 millions de repas comme lors de la première campagne de 1985-86, ce qui était déjà énorme, mais plus de 100 millions comme lors de la dernière livrée hivernale. « Mais qu’est-ce que vous avez foutu bande d’enfoirés ? Alors on peut pas vous laisser vous démerder sinon vous faites n’importe quoi ! », qu’il gueulerait le bougre. Puis, tout étonné que sa géniale trouvaille soit devenue une véritable entreprise de la solidarité, il verserait peut-être une petite larme devant l’extraordinaire élan des bénévoles hexagonaux qui se bougent la couenne tout l’hiver et en silence pour donner des produits de base à ceux qui n’ont plus rien.
Et je l’imagine alors reprendre le micro d’Europe 1 ou convoquer une méga conférence de presse au théâtre du gymnase pour clouer au pilori les politiques de droite et de gauche qui n’ont pas branlé grand-chose depuis son départ pour panser les plaies béantes de la fracture sociale. Il conchierait les patrons du Cac 40 et les profits immédiats et pourfendrait le règne triomphant du chacun sa merde. Et on se marrerait. Depuis le temps qu’on a pas ri avec lui !
Mais tout ça c’est du rêve. Hélas. La réalité c’est que dans quelques jours débarque à Montpellier le gratin de la médiocrité télévisuelle chantante pour remplir de pleines arènes couvertes de braves gens prêts à reprendre à pleine gorge les refrains tubesques de trente ans de mièvrerie radiophonique compilés. Et on va applaudir à tout rompre et ramasser des ronds à la pelle dont il me plairait de savoir quel pourcentage part réellement vers les Restos du Coeur.
Entendons nous bien. Je ne critique pas cette brochette de vedettes qui ont au moins le mérite d’être là. Mais je n’ai aucun respect pour ces millionnaires du CD pas si téléchargé que ça donc qui, après deux heures de bons sentiments partagés bras dessus bras dessous, iront se remplir la panse et siroter des grands crus chez Pourcel puis coucher chez Pullman 5 étoiles en faisant exprès de se tromper de chambre si vous voyez ce que je veux dire. Et pas un d’entre eux ne se dira qu’il est là pour les Restos et que, pour tâter de près ce que ça veut dire d’être dans la panade, il pourrait aller donner un coup de main aux bénévoles le matin dans un des centres - sans les caméras évidemment - au lieu de vomir discrètement son bourgogne. Coluche, lui, le faisait. Aujourd’hui, on a plus le droit ?

4 commentaires:

  1. Tu viens de le faire et je ferai passer le message histoire de l'amplifier un peu.

    RépondreSupprimer
  2. Wow ! bien envoyé ! Merci de tout coeur.

    RépondreSupprimer
  3. J'ai fait suivre sur mon propre blog : http://alternativespasalternance.blogspot.com/2011/01/je-suis-obligee-daller-manger-coluche.html

    RépondreSupprimer