lundi 11 octobre 2010

C'EST CA QUE JE DIS : tome 9

LE GRUYERE ET LE CHARIOT
Les adultes sont de grands enfants. Et certains demeurent même des adolescents attardés plus ou moins malgré eux. J’en connais un, c’est un proche, qui trimballe depuis l’enfance deux tares qui n’en sont pas véritablement mais qui, plus il entre dans l’âge, deviennent en tous points navrantes. Même l’entourage s’en plaint désormais.
Oh, ce jour là - je veux parler de la première fois que le symptôme est apparu -, il ne devait pas avoir 5 ans ! Il déjeunait en famille le plus normalement du monde et le repas touchait à sa faim. D’ailleurs, comme il n’était pas repu, le gruyère qui venait d’être négligemment posé sur la table, lui faisait de l’œil. Le père lui coupa une fine tranche. Mais le garnement ne trouvait pas l’épaisseur à son goût. Comme aucun commensal n’avait l’intention de satisfaire son appétit supplémentaire, voilà qu’il saisit vigoureusement la plaque fromagère avec la conviction du fermier de nos campagnes. Et soudain, alors qu’il s’empare du couteau, il se lance en même temps dans une imitation bruyante de la scie électrique dont le seul bruit avait pour but de feindre de forcer et de faire rire le petit frère qui lui ne se forçait pas devant tant de stupidité juvénile rassemblée sur un seul sujet.
Nous aurions pu en rester là. Et l’évocation de l’anecdote de fin de repas n’aurait éclaboussé que la suivante tablée dominicale où, entre la poire et le fromage évidemment, un témoin du délire serait revenu sur cet épisode finalement plus drôle que fâcheux. Le problème est que des années durant, et parfois même encore de nos jours, il ne fut pas possible de mettre de gruyère à table, avec des variantes sur le Comté parfois, sans que, invariablement, le garçon ne se saisissât (j’ai un doute temporel là !) d’un couteau dans l’optique d’infliger à l’assistance la douce mélopée de l’artisan qui perce ou qui scie. Certes, cela n’a jamais demandé un effort physique incommensurable mais, incontestablement dans cette affaire, tout se jouait dans la tête. On pouvait dire que l’emmental était touché !
L’habitude ayant largement fait le tour du cercle familial, on se souvient même du sourire d’anticipation de quelque oncle ou cousins pressés non pas de quitter la table mais de voir arriver le plateau de fromages pour découvrir de visu l’imitation qui valait à son auteur une solide réputation allant bien au delà des tablées potagères automnales.
Il y a peu, l’intéressé dînait avec sa belle dans un établissement bien en vue de la cité où il n’est pas franchement d’usage de faire des mimiques avec la bouche tandis que l’on apprécie un aligot lozérien couplé à des cèpes des sous-bois.
Eh bien, notre zélé dégustateur de lait vachement solidifié ne put s’empêcher en sourdine de procéder à son coutumier raclement de gorge devant une femme désespérée de voir aucun progrès tangible à l’horizon tout occupée qu’elle était à tourner la tête afin de s’assurer qu’aucun voisin n’avait été incommodé par cette triste représentation. Il n’y a pas de raison que nous en restions là…
L’autre phénomène étonnant, à dire vrai plus répandu, a pour cadre en principe un parking de supermarché légèrement en pente. L’action est tout aussi systématique qu’avec le gruyère et on touche là au désespérant voire à l’incurable. Peu importe le chargement du chariot (je ne dis pas Caddie car c’est une marque déposée et ce blog étant en libre accès, il n’est pas question ici de payer des droits de propriété commerciale non mais !) et peu lui chaut la proximité ou non de quidams avec leurs sacs remplis de courses pour la semaine.
Tel un cochet de diligence, il se dresse fièrement et se laisse glisser avec le chariot, les pieds bien décollés du sol. Des fois, entre le poids du chariot garni et le quintal approchant de l’intrus, la direction prise par l’ensemble ne semble pas la bonne. On s’en écarte même dangereusement. Mais, au prix de moult gesticulations, et si possible sans reposer les arpions sinon c’est trop facile, l’intrépide parvient toujours à ramener le réceptacle là où il faut, c’est-à-dire juste à côté de la voiture. Car l’objectif de la manœuvre est de se détendre durant quelques secondes certes mais aussi d’atterrir le plus près possible du coffre arrière. Ce n’est pas tout de faire le pitre, il faut aussi décharger.
Un récent samedi après-midi, où le parking est plein à craquer, notre homme s’adonne à sa pitrerie habituelle et ajoute pour garantir l’ambiance une parodie musicale assez mal exécutée du I’ve got a feeling de David Guetta versus Black Eyed Peas. C’est alors que ce convoi dangereux frôle un véhicule parfaitement garé duquel sort une dame qui reste bouche bée de voir passer si vite un Satanas à qui ne manquait que son Diabolo. Et là, moment de solitude avéré, le tiers reconnaît sans avoir de doute une connaissance professionnelle avec qui rendez-vous est pris le surlendemain pour évoquer quelques dossiers de première importance. Dès à présent, il sait qu’il ne pourra attaquer favorablement l’ordre du jour sans que sa presque victime se mette à rire en pensant à cette rencontre d’un autre type. Un drôle de type !
D’elle, il ne sollicite rien, pas même un peu de discrétion. Le voici déjà occupé à ranger les sacs alors qu’elle a tourné le dos depuis un moment déjà. Cela devait finir par arriver. Mais pas la quarantaine franchie…

1 commentaire:

  1. Ce que j'aime dans tes histoires, c'est qu'elles sont vivantes. Qu'elles bougent. Qu'elles ramènent forcément à quelque chose qui touche. Il y a souvent des tablées, de la bonne bouffe, des choses vraies et humaines.
    Mais surtout, elleq me ramènent à une plume que je ne lis plus ailleurs et qui me manque, je l'avoue, parce qu'elle saisissait l'essentiel. Le simple, peu sensationnel, mais si réel. Rien mais tout. Bref...
    Bon, on mange ensemble demain - enfin aujourd'hui - mardi ?? Si j'arrive à me lever avant midi ??
    beco.

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