mardi 5 octobre 2010

C'est ça que je dis (parce que souvent c'est chaque jeudi !) : tome 8

LETTRE A UN SOLDAT INCONNU
François Isidore Carrière, je ne vous ai jamais vu. Et pour cause, les tables décennales de la mairie de Saint-Rome-de-Dolan en Lozère indiquent à qui veut bien le déchiffrer que vous êtes né le 6 mai 1820 !
A dire vrai, j’ai même eu quelques difficultés à trouver votre trace. Car vous demeuriez, sur une page quelque peu noircie, parmi des frères consanguins. En gros, tout le monde n’étant pas généalogiste occasionnel, vous seriez un des neveux du grand-père de mon grand-père. Et le petit dernier d’une fratrie nombreuse et riche en sujets féminins. Voilà qui nous fait une belle jambe. Membre que vous avez d’ailleurs perdu au combat et ce ne fut pas le seul apparemment. Car vous avez même été massacré.
Dimanche dernier, nous fûmes une petite centaine à venir vous rendre hommage par une matinée pour le moins ventée (mais pas au point de contrarier l’exécution des cors de la musique du 21e bataillon des chasseurs alpins venu d’Annecy). Désormais, votre nom s’étale en lettres respectueuses sur le monument aux morts de cette localité, chère à mon cœur et forte d’une soixantaine d’âmes, qui surplombe majestueusement les non moins majestueuses Gorges du Tarn.
Vous voici au côté des Poilus de 14-18 et d’une victime d’Algérie au rang des Morts pour la France. Tandis que venait de cesser la glaçante sonnerie aux Morts, je regardais le député local qui, sitôt la cérémonie achevée, trouva le moyen de venir féliciter un tiers pour sa décoration du jour… alors même que celui-ci ne figurait pas au rang des récipiendaires !
Puis mes pensées revenaient vite vers vous, François Isidore Carrière, bien tardif héros d’un jour sur ses terres. Nous commémorions là, en comité restreint, derrière des porte-drapeaux et étendards essentiellement de couleur bleue et jaune, le 165e anniversaire de Sidi-Brahim. Une bataille, je l’avoue sans honte, dont je ne connaissais que le nom et la date très approximative.
Internet m’a appris le reste. Et je vous imaginais dès lors jeune paysan d’une vingtaine d’années, quittant le causse Méjean sans pouvoir faire de promesse de retour aux siens, parti pour un ailleurs lointain, forcément méconnu, et pour une cause imposée au service du pays. Dans le marabout de Sidi Brahim, la grande Histoire - qui a fait de vous des héros - stipule que vous luttèrent trois jours et autant de nuits durant contre les troupes bien plus nombreuses d’Abd el Kader. Au point de périr jusqu’au dernier et je vous épargne les détails…
Voici quelques mois, j’avais reçu un coup de téléphone d’un citoyen lozérien, ancien chasseur de son état, mais nettement plus contemporain que vous, car bien en vie, qui avait été orienté vers moi par des connaissances communes. Il avait en sa possession votre livret militaire et j’avais votre extrait de naissance. Nous échangeâmes nos informations et étions presque en mesure de faire un début de portrait de vous.
Je comparais la douceur mélancolique de mes 20 ans à la sauvagerie exacerbée des vôtres et relativisais bien des menus tracas de notre époque. Votre destinée n’a, finalement, rien d’extraordinaire car chaque famille ou presque peut trouver la trace d’un jeune homme trop tôt disparu sous le feu nourri de balles ennemies.
Mais, dimanche dernier, cher François Isidore inconnu, tout en me tenant un peu à l’écart des militaires que je n’ai jamais trop suivi au pas, surtout avec deux modestes mois d’Armée !, j’ai trouvé logique de venir vous rendre un hommage aussi rapide que respectueux. Pour, sans mauvais jeu de mots, ne pas être en reste…

1 commentaire:

  1. Bel hommage que je partage si tu veux bien et qui me fait penser que mon père, né en 1925, a dû connaitre lui aussi, une jeunesse avec une marge d'insouciance probablement étroite. L'extrait de naissance n'est pas en ma possession, je sais juste que son sang est mêlé au mien, et qu'il me reste un témoin de récit pour lever une des zones d'ombres, pour moi, pour ma fille et pour la Mémoire...

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