lundi 28 février 2011

Au revoir Madame Marguerite !

Commençons par emprunter un dialogue d’anthologie à Michel Audiard. Il est tiré du film « Elle cause plus, elle flingue » et il met en présence Bernard Blier et Annie Girardot évidemment.
- Nous mangerons froid.
T’as dit nous ! Qui ça nous ? Ton espiègle et toi vous n’espérez quand même pas d’me refaire le coup de Barbizon !
- C’que tu peux être raclette !
- Ah mais ! Excuse-moi… mais ce sont des repas dont on se souvient : déjeuner en tête-à-tête et je me suis retrouvé à Cochin - aux urgences pour lavage d’estomac. Qu’est-ce qu’on a retrouvé dans mes viscères ? De l’acide prussique - un beurre !
- Tu fabules, tu romances.
- J’me suis jamais fait baiser deux fois de suite.
- Eh ben tu sais pas ce que tu perds.
Magnifique. Pratiquement inégalable même. A mon modeste niveau de dialogue, j’ai failli interviewer Annie Girardot. C’était en juillet 2002 au théâtre de verdure de Pézenas où, dans le cadre du festival La Mirondela dels arts, elle venait jouer Mme Marguerite devant un public acquis d’avance. J’ai failli parce que cela ne s’est finalement pas fait. Non que j’ai failli à ma tâche mais parce que ce jour-là, l’attachée de presse fit barrage. Nous avions pourtant rendez-vous. Et je me faisais une joie de m’entretenir avec l’héroïne de Mourir d’aimer.
- « Mme Girardot ne pourra pas répondre à vos questions. Elle m’a demandé de bien vouloir l’excuser. Je suis désolée. » Je me souviens avoir insisté.
- « Écoutez, je suis un peu surpris. J’ai eu une confirmation de votre part encore hier matin au téléphone et vous comprenez bien qu’une parution était prévue dans le journal de demain et…
Et c’est Annie Girardot en personne qui vint terminer cet échange. Sèchement mais poliment. Elle sortait d’un mobil-home servant de loge.
- « Jeune homme, je comprends parfaitement votre déception mais je suis fatiguée et je souhaite me reposer un moment pour être en pleine forme tout à l‘heure. Allez, soyez gentil maintenant. »
Surpris par cette apparition et intimidé aussi, je ne dis pas mot. Il restait deux bonnes heures avant la représentation. Le temps de prévenir la rédaction de mon infortune et je partis acheter un paquet de clopes, boire un coup et râler dans un coin du parc.
A l’heure dite, Madame Marguerite avait endossé sa blouse de maîtresse de la classe de 7e face à un public ayant valeur d’élèves fictifs. Comme prévu. Et elle allait être époustouflante. Tendre, drôle, autoritaire, complice, grossière, elle multipliait les personnages en un seul. Nous buvions ses paroles et ses mimiques au point d’oublier complètement que nous étions installés sur une tribune en bois inconfortable.
En mon for intérieur, je me disais qu’elle s’était quand même bien foutue de ma gueule la vieille car elle était pas fatiguée pour deux sous. Ou alors elle avait des siestes bougrement réparatrices. Sa prestation s’acheva sur de longs applaudissements nourris et mérités.
Ce festival piscénois étant assez familial, artistes, techniciens et spectateurs prennent souvent le verre de l’amitié en petit comité pour échanger à chaud. Ce fut le cas ce soir-là. Annie Girardot se fit longtemps attendre. Au point que bon nombre de présents pensaient qu’elle avait déjà regagné son hôtel. Puis, elle sortit de son mobil-home. Ce n’était plus du tout la même. Elle s’était vidée les tripes sur scène et elle avait donné tout ce qu’elle avait à son public, passant outre des souffrances physiques alors bien visibles. Elle marchait très péniblement et je me souviens qu’elle ne parvint pas à ouvrir seule la portière de la voiture qui l’attendait.
De nouveaux applaudissements isolés d’abord, puis généralisés ensuite - rythmés par des bravos, bravos ! - accompagnèrent sa sortie. C’était absolument émouvant et quelques larmes mouillaient le visage de certains.
Fort de ce souvenir, la nouvelle de son départ paisible qui est tombée aujourd’hui n’est pas surprenante. Annie Girardot a résisté autant que possible. Chacun pensera à un film plus qu’un autre ou à son discours vibrant des Césars. Mais Claude Lelouch voit juste quand il dit qu’on vient de perdre l’Edith Piaf de la comédie.
Pour ma part, je garde en tête cette soirée où elle était passée outre une mémoire déjà défaillante avec un brio certain. Voici maintenant qu’elle a fermé les yeux. Pour une dernière et longue sieste.
 

samedi 26 février 2011

Le cul de Frédéric François

Elle est de dos. Au premier coup d’œil, je m’attarde sur son imposante chevelure. Frisée et longue, elle dégage une étonnante amplitude. Un roux léger tirant sur le châtain. Elle porte une veste noire et courte, des bottines élégantes et un sac à l’épaule imprudemment entrouvert. Quelqu’un devrait d’ailleurs lui dire de faire attention car on aperçoit certains effets. Dont une brosse et un livre. Je ne peux être celui-là car ce serait inconvenant me dis-je. En fait, je n’ose pas. Cependant, je me surprends à me déplacer légèrement comme si je voulais deviner le nom de l’auteur du bouquin. Et voici qu’un tiers profite de ces instants de trouble pour se faufiler et gagner une place ou deux dans la file. Le fourbe !
D’un mouvement latéral et brusque, je reviens à ma place comme pour m’offusquer de l’outrecuidance de l’intrus. Dérangée par le manège qui se trame dans son dos, elle se retourne quelques secondes et j’aperçois des tâches de rousseur au milieu d’un visage éclatant et marqué par un large sourire. Elle n’a pas dit mot. Mais on a l’impression qu’elle a parlé, qu’elle nous a dit de ne pas pousser, que notre tour viendrait naturellement. Dès lors, il n’y aura plus aucun désordre dans la file. Aucun mot échangé.
Comme un con d’homme, qui ne voudrait pas capoter, j’essaye de regarder ailleurs mais reviens assez régulièrement sur son cul. Je pourrais dire sur ses formes callipyges pour entretenir une illusion poétique et une certaine finesse. Mais, c’est une réalité au moins depuis Balzac, « une femme montre plus promptement son cul que son cœur » . Un homme aussi du reste ! Et celui-ci était magnifique. Ferme, bien rond, occupant un jean juste comme il le fallait. Sans excès. Quand on fait la queue, peu importe l’endroit, l’impatience et l’inactivité font que l’on s’invente vite des histoires. Et ce n’est pas parce qu’on parle de cul que l’histoire est forcément sexuelle. Ce postérieur a beau être bien séant, il ne me viendrait absolument pas à l’idée d’en savoir davantage sur sa propriétaire. Vous n’êtes pas obligés de me croire.
D’ailleurs, lorsqu’elle sort son téléphone pour passer un appel, je suis heureux de pouvoir mettre un prénom sur cette crinière au vent et cet extérieur agréable au regard. Et sans doute au toucher. Ce sera donc Maria. Sa voix semble assez agréable elle aussi. Je rêve de voir un objet quelconque tomber de son sac afin que nous nous baissions (il est important ici de vérifier qu’il y a bien deux « s ») tous deux pour le ramasser et que nos regards se croisent et que nous remontions en nous frottant légèrement comme dans les films…
A y être, elle vient d’agiter sa chevelure avec la virtuosité d’une publicité pour shampooing. Quelques minutes passent. Calmement. Son sac semblant assez bien rempli, voici que Maria adopte maintenant une position consistant à s’appuyer exagérément sur sa jambe gauche comme pour faire contrepoids, pose qui réajuste aussitôt le jean et donc son contenant et qui le présente sous un aspect encore plus prometteur. Cela en serait presque gênant. Je ferme les yeux un moment et ne pense à rien.
Il s’agit de reprendre son souffle et non pas de songer aux plus folles étreintes. Un homme s’évacue et Maria prend place face à la guichetière. J’ai alors devant moi une vue imprenable mais je n’en abuse pas. D’autant que nous ne sommes pas seuls et que je pourrais vite être repéré. Mais quel cul quand même Maria ! Il doit faire des envieux. Elle va passer commande. Peut-être espérons nous des billets pour le même concert…
- « Bonjour, il me faudrait 2 places pour Frédéric François au Zénith le 25 mai, s’il vous plaît ».Elle était encore occupée à régler que, déjà, je tournais les talons. A mon tour, je lui présentais mon cul…

jeudi 3 février 2011

Une trop longue attente

Je te regardais fixement en me demandant à quoi tu pouvais bien penser. Tu étais à deux pas à peine, silencieux, et fumais nerveusement. A l’écart. Je ne savais pas quelle attitude adopter. On ne se connaît pas même si nous avons des connaissances en commun. Nous nous sommes serré la main par politesse une fois ou deux, avons échangé quelques phrases noyées dans les banalités d’usage. Mais, en pareille circonstance, les mots ne pèsent rien. Tes parents ne sont pas loin non plus. La peur se lit sur vos visages, une immense lassitude aussi. De la fatigue.
Ce que l’on vous inflige à distance est insoutenable. Vos jours ne sont pas en danger mais vos nuits le sont toutes. Que de tourments injustifiés, que de cauchemars renouvelés, que d’attentes vaines, que d’espoirs déçus, que d’incompréhensions sourdes. Mais, surtout, quelle respectabilité. Pas un mot plus haut que l’autre ou si peu alors que d’autres hurleraient, pas une note discordante même avec le temps qui passe. Simplement digne.
A midi, vous avez brièvement répondu aux sollicitations par obligation. Vous auriez préféré que l’on vous fiche la paix. Vous êtes l’un à côté de l’autre et dès que l’un s’écarte, il est aussitôt cherché du regard car vous faites corps. Soudés presque malgré vous.
Eux, on ne sait pas vraiment où ils sont mais on les voit partout. Il est bien impossible d’imaginer leur quotidien. On ne s’y autorise même pas. D’ailleurs, nous ne pouvons pas faire grand-chose car cela nous échappe complètement. Trop d’ailleurs. Mais le silence est coupable. Et tous ceux qui se démènent, admirablement, avec des moyens ridicules, ont votre respect. Et le nôtre.
Le fils allume une autre clope, semble saisir quelques mots à la volée mais il n’y a rien dans l’air qui n’ait pas déjà été dit. Je le sens agacé. Peut-être parce qu’il n’y a pas assez de monde. Il parle à un ami, sourit mais le cœur n’y est pas. Un élu parle à sa mère. Elle refuse un sanglot. On montre au père une carte postale avec deux visages qu’il ne connaît que trop. Un plus que l’autre. On lui dit qu’on peut écrire un mot ou plusieurs et qu’elles seront expédiées au ministère. On est dans le symbole. Alors que nous devons juste bousculer des montagnes.
On ne s’habitue pas à l’absence. Chaque jour est un cri. L’intérieur est rongé. On tient avec les nerfs, quelques bons amis et une volonté de fer. Et, à n’en pas douter, une assistance médicamenteuse.
Il frotte ses lunettes maintenant, lâche un gros soupir, embrasse un visage connu et dit du mal de nos gouvernants dans la conversation. Tout en se retenant. Il regarde son frère qui n’est toujours pas là. Mais on vient juste de dérouler la bâche et son portrait inonde le ciel d’Antigone avec son camarade de misère. C’était à midi aujourd’hui pour des 400 jours faute de 400 coups. Thierry mais aussi Gérard et Arlette Taponier sont repartis aussi discrètement qu’ils étaient venus à Montpellier. Pour Stéphane. Pour leur Stéphane. Et Hervé aussi qui aura 48 ans samedi. Là-bas, loin. Dans ces montagnes inhospitalières.